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Une ferme sur un motu

Des centaines de poules sur un motu. Mais aussi des serres, des arbres fruitiers, des légumes, des ruches même, qui explosent de vitalité sur l’ancienne piste d’aéroport d’Arutua. Comment une terre corallienne peut-elle produire des plantes ? Quel prodige pour faire fleurir un désert, quel secret pour un résultat si flamboyant ? Au départ, il y a un contexte particulier : la covid ; une volonté tenace : celle de Steve Pommier ; des aides concrètes : les connaissances et matériaux techniques. Mais, à la base, il y a la nature, éternelle et immuable, qui domptée, suivie, et encouragée, peut produire des miracles.


© Photos et texte : Doris Ramseyer


La piste actuelle de l’aéroport ressemble à l’ancienne, où Steve a déployé des serres et des poulaillers


Une ferme dans un désert de corail

Tout démarre avec les poules. Ou alors, c’est par la covid que tout commence. Steve Pommier est perliculteur, Arutua. 2020, année de la pandémie mondiale : il rapatrie sa petite famille de Tahiti jusqu’aux Tuamotu, sauf ses deux aînés qui étudient à l’étranger. Pour une question de subsistance et d’autonomie, Steve souhaite acheter des poules pondeuses. Il a besoin d’un agrément de la DAG (Direction de l’agriculture). Au bout du compte, il se retrouve avec 150 poussins piailleurs. Les œufs arrivent, les déjections aussi. Elles seront source de vie végétale, mélangées à de la bourre de coco. Steve obtient rapidement de la terre, si fertile que ses premiers essais de plantation sont un succès.



Son terrain de jeu est l’ancienne piste d’aéroport : sol damné, terre corallienne, climat sec, végétation rasée. C’est l’état des lieux il y a un peu plus de deux ans. Aujourd’hui, une ferme a surgi du néant.

Steve ouvre la porte d’une première serre de vanille. Les plants ont entre 6 mois et 2 ans et demi, bientôt il va marier les fleurs pour la première fois.


La vanille, c’est long. Pour quelqu’un qui débute, le maraîchage est plus fructueux, les résultats, plus rapides, et surtout plus nourriciers, expose Steve.

Avant l’installation de la ferme agricole sur le motu, se déployait cette ancienne piste d’aéroport au sol damné


À la base de chaque plante, du compost bien frais nourrit les lianes : les fientes de poules aideront les vanilliers à croître en de belles gousses charnues. On a renforcé les ombrières, pour avoir plus d’ombre et d’humidité, car ici le climat est différent des îles du Vent et de Sous-le-Vent, note l’agriculteur. Deux employés travaillent sur le site, en aviculture et en agriculture, en plus d’une stagiaire du CFPA venue des îles Marquises. Steve a développé trois serres, qui occupent une surface totale de 1 750 ha, abritant 1 600 plants pour la plus vaste, 900 dans la seconde, et 250 pour la plus petite.


Plusieurs serres de vanille s’échelonnent sur le motu à Arutua


L’importance des formations

Comment fonctionne une vanilleraie dans un lieu si excentré ? Il y a d’abord le compost. Entre les planches , le mélange est en pleine transformation. La première couche est composée de litière de poules, imbibée de déjections. Deuxième couche avec des végétaux verts broyés (branches d’arbustes du maquis pa’umotu : tōhonu, kahia, noni...). Et ainsi de suite, en alternance jusqu’à la surface.


Les différents composants fermentent sous une bâche, et la sève et l’humidité contenues dans les végétaux verts broyés assurent une montée en température jusqu’à 70 °C, afin de détruire les bactéries pathogènes, en particulier, les salmonelles. C’est le secret ! assure Steve. Les travailleurs modifient la superposition des couches chaque mois : celle du bas est déplacée en haut, et ainsi de suite pendant quatre mois. Au bout de ce laps de temps, Steve obtient un compost d’excellente qualité qui nourrit toute sa plantation.


J’ai mis seulement deux ans pour tout bâtir. Même si j’avais la motivation et les aides financières pour débuter, c’est grâce au formateur Sylvain Todesco de Red Gallina Tahiti que j’ai pu aller si vite, confie Steve.

L’éleveur perçoit une aide du gouvernement à hauteur de 70 %, qui lui a permis d’investir dans un broyeur, divers outils comme la débroussailleuse, et un Biovator, dont Steve nous explique bientôt l’utilité.

Grâce à cette formation, le perliculteur a pu concrétiser tous ses rêves agricoles. À défaut du plaisir d’expérimenter, le gain de temps est énorme pour se développer. Il existe un vrai besoin de formation en Polynésie, ce qui n’est pas dans les habitudes de notre culture, note Steve.

Les serres sont recouvertes de bâches pour récupérer l’eau de pluie, qui se déverse dans les citernes. Grâce à une pompe électrique, alimentée par des panneaux solaires, l’arrosage est savamment dosé : l’eau perle régulièrement d’un arceau qui surplombe chaque vanillier. Steve vient d’investir dans un dessalinisateur pour compléter l’arrosage durant la saison sèche. Ainsi que dans une petite génératrice comme appoint.


Les plants de vanille ont entre 6 mois et 2 ans et demi. Au-dessus des serres de vanille, l’eau de pluie est récoltée.


Aviculture

Les poules sont massées derrière la porte de leur poulailler, leur horloge interne les presse vers la sortie. Elles s’ouvriront de 9 h 30 à 16 h 30, libérant la volaille dans l’enclos aux normes bio, 4 m² pour chacune, leur garantissant une vie décente. Pour que les poules profitent de cet espace, il a fallu créer de l’ombre, et revégétaliser les parcours. Ont été plantés des arbres fruitiers, des uru et aussi les arbustes typiques du maquis pa’umotu : tumu nou , miki miki, noni, kahia, tōhonu.



De belles poules saines au plumage vif et gonflé, aux pattes épanouies, à la cuisse musclée. Dont la chair et les œufs sont un régal, affirme Steve. Les poules ont beau être nombreuses, le poulailler ne dégage qu’une légère odeur de fiente ; en effet, la litière est posée sur un tapis, qui est régulièrement raclé pour alimenter le compost en formation. La litière est réalisée à base de broyé sec, des feuilles de cocotier disponibles sur le motu.


La nuit, les volailles rentrent au poulailler, qui les protège d’éventuels prédateurs. Elles s’y rendent d’elles-mêmes, c’est aussi plus simple pour récupérer leurs œufs ! Tous les œufs bio de la ferme Pommier sont vendus deux fois par semaine dans différents supermarchés de Tahiti, mais ne suffisent pas pour répondre à la demande. Il existe un autre aviculteur à Arutua, Pascal Maout. Il nourrit 2 000 poules sur un motu, et vend tous ses œufs à Arutua.


Steve a démarré avec une bonne centaine de poussins, il élève aujourd’hui 1 000 poules, 500 sont en production, et il attend un nouvel arrivage de 150 poussins. Cinq poulaillers s’échelonnent derrière les plantations. Steve nourrit ses poules avec un aliment complet certifié biologique, en conformité avec le cahier des charges de la NOAB (Norme océanienne d’agriculture biologique), stocké en conteneur contre les nuisibles. Les gallinacés produisent pendant deux ans, avant de passer au stade de poules de réforme.




Steve Pommier, devenu aviculteur à la suite de la covid


La chair des plus belles sustente la famille, les autres sont abattues. Le cycle vertueux se poursuit : pas de charnier ni d’odeurs de cadavres en décomposition. Le Biovator, une machine canadienne, les désintègre parfaitement, et, en deux jours seulement, un mixe de 50 % de matière animale et 50 % de matière végétale (litière de poule et broyé vert).


Si la covid n’avait pas percuté sa ferme perlière, avec le départ des greffeurs chinois, le licenciement de son personnel, la chute de la production comme du prix de vente des perles, Steve ne se serait probablement jamais tourné vers l’agriculture. J’ai démarré dans une optique d’autonomie alimentaire, exigée par une situation de crise ; aujourd’hui je le fais par éthique. C’est une prise de conscience profonde, pour repenser différemment la perliculture et l’agriculture. En écoutant la nature et ses humeurs, en suivant son rythme, en se questionnant aussi sur l’avenir. Je suis représentant Bio Fetia, explique Steve, qui accorde un soin particulier aux poules et à leur habitat. Pour le respect d’une vie animale, dont la noblesse est de nourrir l’homme qui l’élève.

Maraîchage, fruticulture, apiculture

La visite n’est pas terminée. Dans la serre de maraîchage, les légumes viennent d’être récoltés. Ils poussent selon le même principe que toutes les autres plantes du domaine, grâce au compost réalisé sur place. Pour l’instant, les légumes nourrissent uniquement la famille, avec du pota, de la salade et des oignons verts. L’idée est de développer plus ce secteur, et pourquoi pas, de se tourner vers l’hydroponie. Steve teste aussi d’autres plantations : pitaya, citronnier, manguier, papayer, corossol, canne à sucre, figuiers… Il y a un vrai potentiel, explique Steve. Il loue au territoire le motu Murano depuis 15 ans, auquel il a fait une demande de rachat. Car planter exige de la place, un concept pas toujours intégré en Polynésie. Finalement, la pandémie l’a contraint à exploiter un terrain jugé inutile et infertile, pour créer un espace verdoyant et nourricier.

Autonomie complète des abeilles, qui produisent une tonne de miel annuellement



Vous souhaitez en savoir plus ?

Dossier à retrouver dans votre magazine Tama'a# 28 - juin 2023

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