2 avril 2022, inauguration de la Journée Mondiale de l'Art à l'écomusée Te Fare Natura. Les danses marquisiennes du groupe Toa Huhina éblouissent les spectateurs, le son des chants et percussions résonnent dans la vallée d’Opunohu. L’écho rebondit contre les montagnes, se faufile dans le musée et devient œuvre d’art sous les mains inspirées d’artistes aussi divers qu’ingénieux autour du mot ECOH. Découverte.
Les danses du groupe marquisien Toa Huhina ouvrent l’exposition du Word Art Day au musée Te Fare Natura
ECOH, un thème qui interroge
ÉCHO ou ÉCO ? Ni l’un ni l’autre, mais une idée qui les rapproche avec le mot ECOH, le thème du World Art Day 2022. La créatrice de ce mot intrigant ? Here’iti Vairaaroa, responsable communication artistique et technique du musée Te Fare Natura à Moorea. Avec Valmigot, peintre et plasticienne, toutes deux fondent le World Art Day (WAD). Cette troisième édition ressemble à une déclaration d’amour pour la musique et la nature. ECOH pour suggérer à la fois le son et l’environnement, car éco mène vers l'écologie. Un nom inconnu du dictionnaire, pour donner libre cours à la sensibilité de chaque artiste ! Car pour la jeune femme,
« l’art c’est transmettre une émotion, un message personnel. »
*Au premier plan, Ra’i nui d’Emmanuel Reiatua-Cuisinier : livre accordéon où ECOH résonne comme le souvenir d’un paysage
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Une exposition inédite
Les dits artistes se creusent la tête, interrogent leurs mains, certains pendant plusieurs mois, qu’ils soient sculpteurs, photographes, peintres ou plasticiens. Au final, l'exposition rassemble soixante-dix-sept créations et interprétations du mot ECOH, reflétant diverses visions du monde. « Il y a des œuvres très engagées », note Here’iti.
Here’iti Vairaaroa devant une œuvre bien représentative du thème ECOH : Ta’ere de Tuihani Omaira. « Représentation de l’outil de musique culturel d’aujourd’hui. » Inauguration de la Journée de l’Art au musée Te Fare Natura présenté par Here’iti Vairaaroa
En avril 2022, fait inédit, l'art s'ancre en trois lieux remarquables. À la Maison de la Culture, où Brigitte Bourger, présidente de l’association photo Hoho’a, est commissaire d’exposition. À la galerie Winkler, présidée par Vaiana Drollet. Enfin au Fare Natura, où Here’iti, Valmigot et Viri Taimana, directeur du Centre des métiers d'Art de la Polynésie française, sont les commissaires d’exposition. De plus, cette troisième édition du WAD se tient sous le patronage de la Commission nationale française pour l'UNESCO.
La sueur perle sur les corps musclés des danseurs et musiciens. Alors que le spectacle s'achève, le musée ouvre ses portes. Nous suivons Here'iti, la jeune femme commente chaque œuvre avec passion. Parmi les visiteurs se sont glissés plusieurs artistes venus pour l'inauguration. Ils nous exposent ce qui les a motivés à participer au WAD, quelle a été leur réflexion autour du mot ECOH, et ce que représente leur œuvre. C’est un morceau d’eux-mêmes qu’ils nous livrent, car leurs créations parlent de leurs univers personnel, joyeux, tourmenté, interrogateur ou rêveur, mais toujours créatif.
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Apolline Mady
Le ballet des géantes d’Apolline Mady : « Aujourd’hui, plus que jamais, dans une réalité menacée par l’action humaine, nous devons écouter et faire écho à cette nature qui nous enseigne la beauté de ce monde. »
L’écho des baleines
Apolline Mady peint depuis l’âge de huit ans et fait de l’art son métier. Arrivée depuis peu au Fenua, la jeune femme s’investit rapidement avec l’association Oceania et leur offre une grande fresque sur le chant des baleines. Pour s'exercer, elle esquisse de nombreux cétacés. Un jour, elle peint ses baleines sur une belle chute de bois trouvée dans une scierie. Le support se révèle remarquable et l’artiste y met du cœur: l'œuvre deviendra un cadeau. Elle l'offre à Tamatoa Gillot, son hôte qui la loge en woofing avec son compagnon. Le temps du WAD, elle la lui emprunte pour l’exposer au Fare Natura, car le lien avec ECOH est évident pour Apolline :
« Immersion en eau profonde, au travers d’une danse entremêlée des géantes à bosse. L'écho de leur chant accompagne mères et enfants valsant sur ce long périple, d’un océan à l’autre. C’est une véritable partition sous-marine. »
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Gotz
Le sommeil des mastodontes de Gotz. « L’œuvre s’inspire de ces images incroyables de cachalots qui dorment, verticaux comme de grands monolithes suspendus. »
Écholocalisation
Gotz, connu en Polynésie pour ses BD sur Pito Ma, est aussi peintre dans l’âme.
« J’aime la démarche du World Art Day, il y a beaucoup d’idées et de mixité ! »
Il y a aussi la fierté de participer à un événement sur l’île qu'il habite depuis plus de 30 ans. L’image verticale des cachalots ensommeillés, tels des monolithes, l'impressionne depuis toujours. Alors il réalise pour l’occasion une grande fresque. Le mammifère, qui communique par écholocalisation, est éveillé en position horizontale et endormi verticalement, à l’inverse de l’humain. « L’homme et l’animal évoluent dans un même plan vibratoire. » Sur son vaste support en bois, Gotz joue avec le graphisme et le contraste des couleurs, des textures et des formes. Un résultat saisissant.
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L’ECOH de SeL
Éclats de Makatea peint par SeL : Fragments de pierre, fragments de chair - Makatea miroir- De la planète Terre
Pleur de pierre - Fendue - À ciel ouvert
SeL, c’est Sylvie Largeaud-Ortega, peintre, professeure à l’université en littérature anglophone, et auteure de plusieurs ouvrages et articles sur la culture océanienne. L'artiste séjourne à Makatea et découvre une île traversée de crevasses, cicatrices de l’exploitation du phosphate. « Makatea peut parler pour la planète » note cette militante de la cause environnementale en Polynésie depuis dix ans.
À son retour, SeL crée Éclats de Makatea, exposé à la salle Muriavai, et Makatea Blues, présenté au Fare Natura. Sylvie nous explique ce dernier tableau : « La terre et l’âme de l’insulaire se font écho. Chair, pierre et terre se confondent. »
Les crevasses de la surexploitation minière se transforment en une longue chevelure, qui devient à son tour les pleurs, les plaintes de l’insulaire. Les couleurs crépusculaires alertent à la nécessité d'un changement : il faut redonner de la lumière à notre planète pressée de toutes parts. Un vibrant message écologique sur la situation insulaire et mondiale.
*Makatea Blues de SeL : Pleur de pierre – Fendue – À ciel ouvert. Déchirement de l’île de Makatea pour exploiter le phosphate, qui fait écho à la souffrance de la planète terre
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Bwandjep
« Bwandjep est issu d’un instrument de percussion kanak ». Réalisation par l’artiste Fabrice Ballay, qui a longtemps vécu en Nouvelle Calédonie
« Le son et la rythmique de cet instrument donnent une vibration profonde proche d’un battement de cœur. » L’œuvre de Fabrice Ballay est un triangle en matériaux composites qui rappelle l'écorce de bourao dont est constitué l'instrument original de percussion kanak. Ce plasticien, fortement influencé par l'art mélanésien, fait évoluer son œuvre de base vers une carlingue d'avion. Le bwandjep, valorisé dans les danses traditionnelles kanak, est une création sentimentale qui rattache l'artiste à la population autochtone, après quarante années passées en Nouvelle Calédonie. Deux thèmes rassemblés en un seul se font écho : un objet technologique qui fait entrer un peuple dans l'industrialisation. Et un objet traditionnel qui parle de la reconnaissance culturelle de ce peuple.
Photographes, plasticiens, peintres et sculpteurs de Polynésie participent au troisième Opus du World Art Day. « Bwandjep est issu d’un instrument de percussion kanak ». Réalisation par l’artiste Fabrice Ballay, qui a longtemps vécu en Nouvelle Calédonie
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Retour en enfance
Claire Mouraby crée la soft sculpture « On entend la mer ». Les figurines mi-coquillages, mi-femmes, font écho au monde de l’enfance
Claire Mouraby participe pour la troisième fois au WAD.
Cette artiste spécialisée dans les arts textiles écrit et visualise le mot du thème dans son carnet : le « h » d’écho prend de l’importance en se déplaçant à la fin du mot.
ECOH, c’est la mémoire de l’enfance, le souvenir.
Elle crée une soft sculpture : des figurines mi-femmes, mi-coquillages. « Dans le coquillage, on entend vraiment la mer, c’est incroyable ! Enfant, on est dans la perception sensorielle, le corps tout entier happé par un seul de nos sens. Est-ce un immense coquillage ou entrent des corps à taille humaine ? Ou le contraire, des êtres minuscules qui s’introduisent dans un coquillage de taille réelle... Ce qui est grand devient petit, et ce qui était petit devient grand. » Nostalgie heureuse de l’enfance...
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Ostinato
Les lignes rythmiques d’Ostinato, œuvre de Bernard Berbille, sont des phrases qui dénoncent l’écoblanchiment. Peinture réalisée avec du charbon et de la terre.
L'œuvre de Bernard Berbille intrigue, interroge, autant par sa texture, ses motifs, que son titre.
Bernard fabrique ses couleurs, une restriction choisie depuis plusieurs années et qui potentialise sa créativité. Pour Ostinato, il utilise du charbon et de la terre d'Opunohu. Les lignes verticales scandent sa toile, tel le rythme répétitif musical d'un ostinato. Selon l'angle adopté pour observer l'œuvre, ces lignes deviennent des phrases qui rythment, répètent, clament : « l'écologie sans la lutte des classes, c'est du jardinage. »
L’artiste explique : « Tant que l'on ne remettra pas en cause le système capitaliste qui détruit les sols, les océans, les hommes et leurs cultures, les mesurettes écologiques ne changeront rien au problème. Cette pseudo-écologie porte même un nom, le greenwashing - écoblanchiment en français. »
Pour Bernard, ECOH est à la fois écologie et économie, tout en rejoignant l'écho, le rythme de l'ostinato.
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Résonnance
Troisième participation au WAD pour Tāhiri Sommer, jeune artiste polynésien détenteur d’un master d’arts plastiques.
Son œuvre est le résultat d'expérimentations grâce à divers médias, gestes et procédures plastiques, qui résonnent entre eux et se répondent de manière circulaire, tel un ECOH.
Ranitea e te rau’uru #nīnamu : Ranitea à la feuille de uru #bleu. L’artiste Tāhiri Sommer utilise différents médias, gestes et procédures plastiques qui font ECOH entre eux
À la base, il y a la photographie numérique d’une vahine imprimée sur un papier singulier qui peut être immergé dans l’eau. Tāhiri joue alors avec sa transparence qu'il transfère dans toute sa légèreté et sa fragilité sur son support. Ce procédé moderne lui fait alors penser à la conception du tapa, comme un écho avec des pratiques traditionnelles polynésiennes. L’œuvre subit d’autres transformations puisque l’image semble découpée puis réassemblée. Le fond dessiné de manière numérique évoque les motifs des tifaifai.
Une œuvre qui interroge sur la vahine et sa place dans l’art contemporain polynésien, sur la manière de rendre unique une photo numérique, tout en faisant écho à des pratiques polynésiennes ancestrales.
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Moments de purau
En arrivant en Polynésie il y a dix ans, Larissa Rolley tombe amoureuse des fleurs de purau posées sur le sable noir de la Pointe Vénus.
*Moments de purau. « Larissa Rolley est fascinée par les fleurs de purau depuis son premier regard sur la terre mā’ohi. Elles lui rappellent que la vie et la nature sont intimement liées. »
« C’est magique, ces centaines de fleurs sur un cours d’eau ! On dirait plein de petits lampadaires. »
La photographe américaine, qui partage sa vie entre Chicago et la Polynésie, crée la série « Moments de purau » pour mettre à l’honneur ces fleurs si communes qu'on a tendance à les oublier. « Les fleurs perpétuelles sont toujours là. Elles sont les témoins d’instants quotidiens. Derrière elles il y a des familles, des amis, des pêcheurs. » La nature, les fleurs, font écho à la vie. « La fleur est le point de rencontre d’émotions spéciales où les rêves du passé et les espoirs se retrouvent dans la beauté simple captée d’un moment présent. »