© Textes : Alex Bauer
C’est la lecture du Point, en mars dernier, qui nous a alerté sur cette utilisation positive des réseaux sociaux (qui pour une fois ne nous gavent pas de défis aussi débiles que dangereux de blogueurs détestables, consuméristes et déprimants) : le trash-challenge.
Le principe est simple : tu te promènes, dans les vallées, en bord de lagon, en ville, sur la plage, peu importe, car les lieux de manquent pas où l’humanité se répand en déchets de toutes sortes. Il peut s’agit d’un m2 ou d’un bord de route de 200 m de long, peu importe : l’essentiel est que tu prennes une photo avant ton passage et une photo une fois le lieu nettoyé de toutes les immondices.
Tout a commencé par une photo improbable d’un certain Byron Romàn, le 5 mars dernier : un jeune homme, assis sur une chaise au milieu de centaines de déchets et le cliché suivant, le même homme, debout au même endroit, tous les déchets ramassés et compactés dans un sac poubelle.
Le message qui accompagne le trashchallenge
est sans équivoque : « Voici un nouveau #challenge pour vous, les jeunes (bored teens » dans le message initial, en anglais) qui s'ennuient. Prenez une photo d'un endroit qui nécessite du nettoyage ou de l'entretien, puis prenez une photo après avoir fait quelque chose en ce sens et postez-la. Rejoignez la cause.
Le défi écolo de Byron Romàn a plu : près d’un demi millions de partages en quelques jours, avant que Reddit, site qui relaient les meilleurs posts du web, ne s’en empare. Au fenua, vous ne manquerez pas d’occasions de relever ce trashchallenge. Surtout n’oublie pas ces deux préceptes : « un bon déchet est un déchet que l’on ne produit pas »
et celui-ci, le plus important dans notre société incivique : « tes déchets sont tes déchets, les déchets
des autres… sont aussi tes déchets. Ramasse tout, les tortues te diront merci ».
Chaque année, environ 5 000 milliards de sacs en plastique sont consommés et une majeure partie n'est jamais recyclée.
Le WWF vient de publier un rapport alarmant : en 2016, la production de plastique a atteint 396 millions
de tonnes. Une autre étude du Forum économique mondial et de la fondation Ellen McArthur affirme qu'en 2050, il y aura plus de déchets plastique dans les océans que de poissons.
Sur Tahiti, l’initiative de supprimer les sacs plastique, les barquettes en polystyrène, les pailles, ne vient pas du gouvernement, mais de jeunes et d’associations, des privés donc, abasourdis et exaspérés que les communautés du monde entier se réveillent et qu’il ne se passe rien à Tahiti.
Or, si le gouvernement est amorphe en matière d’environnement, c’est pour une raison simple, entendue
100 fois : « il nous faut prendre la mesure des conséquences économiques de l’interdiction d’importer tel
ou tel produit plastique qui fragiliserait une filière et donc des emplois ». Sauver des emplois est un leitmotiv qui fonctionne bien, apaise la rue et la ménagère de plus de 50 ans dont 2 enfants sont au chômage.
Alors oui, c’est excusable dans la forme.
Dans le fond, ce n’est pas justifiable. Car la question soulevée n’est pas la bonne. La réponse fournie non plus, par voie de conséquence. Excusable est la formule, car, en dépit de son manque flagrant d’originalité, elle est finalement soumise au diktat culturel français qui n’a jamais su conjuguer écologie et économie.
Injustifiable dans le fond, car le seul modèle qui permettra demain à la Terre de se sentir mieux sans que
des révolutions naissent partout, que l’on voie des économies fragilisées en raison du manque d’eau,
de travail et de ressources est d’arriver, comme le font les Chinois avec talent, à mettre l’économie au service
de l’environnement au sens large et inversement.
En Chine et dans certains pays anglo-saxons, qui rêvent moins qu’en France et utilisent un pragmatisme
de circonstance, l’écologie est devenue le meilleur allié de l’économie, source de créativité et de profits.
Oui, l’écologie sert à créer, à inventer, de nouveaux produits non polluants, de nouveaux modèles, une nouvelle philosophie du développement, où l’ultra-libéralisme n’existe pas.
Mais où existent des profits : un gros mot dans la France gangrénée par des années de martelage subliminal de la doctrine marxiste.
Alors, si le gouvernement polynésien voulait bien faire les choses, qu’il regarde la réalité en face : supprimer les filières d’approvisionnement de tous ces polluants à usage unique que l’on retrouve dans le ventre des tortues est une bénédiction. Demander aux importateurs locaux de changer complètement leurs sources d’approvisionnement est la seule solution. Mais que cela se fasse en les soutenant financièrement, généreusement, le temps qu’il faut pour qu’ils se remettent en selle avec de nouveaux produits est la seule logique à adopter. Sinon nous continuerons, au fenua, à croquer notre poulet industriel et notre riz transgénique trop cuit avec une sauce bourrée d’additifs dans un contenant polluant… pendant encore quelques décennies.
Or, dans quelques décennies, 3 pour être exact, les chiffres sont on ne peut plus clairs : il y aura, dans l’océan Pacifique, notre Moana nourricier, plus de plastiques que de poissons.
InstanTANE #07 - juin 2019