de sourires en saveurs…
Texte : Alix Baer - Photos : Lorelei Quirin
Étal de bord de mer à la sortie de la baie de 'Opunohu, où l'on distingue au loin des bungalows sur pilotis de l'ancien Intercontinental Moorea Resort. Bienvenue sur l'île des saveurs fraîches et sans pesticides !
Les belles histoires ont souvent un début heureux, animé, festif. Celles de Moorea commencent, sauf rares exceptions, sur le quai de la gare maritime de Papeete. Chapeaux de paille, lunettes de soleil, paréos qui flottent au vent, voitures surchargées d'affaires pour un week-end comme si l'on partait quinze jours, rires d'enfants et de copains en échos : aller sur l'île sœur est une respiration. Juste quelques kilomètres de chenal séparent Tahiti de Moorea. Pourtant, on ressent l'impression diffuse que l'on va changer de monde. Comme un air de vacances.
Je suis tombée amoureuse de Moorea en 2006, alors que je venais d’arriver à Tahiti. Quelques semaines après m’être mise au travail, en arrivant du froid Québec, la Polynésie, en tout cas Tahiti, m’enchantait déjà. J’ignorais tout du mana, ce ressenti de force spirituelle et de bien- être, qui enveloppe les îles et les êtres, mais je ressentais une énergie nouvelle. Bora Bora et les mille verts et bleus de son lagon m’hypnotisèrent, au point que je les vois encore en fermant les yeux, même si j’ai depuis longtemps renoncé à chercher à tous les décrire.
L’atmosphère lancinante, la torpeur bienfaisante et un sentiment de solitude salutaire habillèrent ma découverte des Tuamotu. Mais c’est à Moorea que je me sentis revivre. Une indescriptible impression de bien-être et de plénitude, de temps à la fois infini et maîtrisé, de moments vécus avec la perception de n’en avoir rien manqué.
Chaque départ de l’île sœur était plus dur que le précédent. De ce fait, chaque séjour devenait plus long, pour une nouvelle séparation vécue comme un déchirement. Comment expliquer cela si ce n’est ce doux sentiment de séduction, de partage, de complicité dont naît un amour sincère ?
Moorea mon amour... Voici un beau titre de poème ou de roman. Déjà pris par une autre ville ? Mince alors !
On aime Moorea aux différentes heures du jour. Les couchants sont souvent admirables, dans les nuances de la lumière équatoriale, de l’air humide, de l’interférence des nuages et des reflets des lagons. Pour vous en convaincre, allez prendre un verre en bord de mer, à Haapiti. On parle moins de ses matins, silencieux et sensibles. L’île, entre bleu et or, comme soulevée par quelques flocons blancs accrochés à ses sommets, se découpe nettement sur le lagon et le ciel du matin. C’est donc à l’aube que vous emboiterez le pas, pour un tour de l’île que vous n’êtes pas prêts d’oublier.
Ci-dessus : les deux jolies gérantes du Ma’a dans le bocal, épicerie de vrac lancée en décembre 2020 et abritée dans un camion itinérant.
Les sourires de Magic Mountain à Papetoai, célèbre spot de Moorea fréquenté par les quads, safaris et marcheurs. On peut y déguster divers smoothies, jus de fruits frais, sorbets...
À la sortie de la baie de ’Opunohu côté mer, non loin de Tropical garden, cette vendeuse propose fruits et légumes, et régulièrement des plantes en pots issues de son fa’a’apu (jardin), principalement des herbes aromatiques.
Miraculeux petit marché de Papetoai, avant d’arriver sur la côte ouest, où les grandes plages de sable blanc déroulent leur lancinante beauté. Monoi, fruits, légumes, tubercules, vous trouverez toutes les vitamines nécessaires à votre petit-déjeuner et tous les fruits de vos cocktails nocturnes ici !
Rencontre tout en sourires et simplicité avec cette mama, côté montagne de la baie d’Atiha, en venant de Vaianae. Ce jour-là, elle proposait ananas et bananes.
Depuis une vingtaine d’années, l’ananas est devenu le symbole de l’île dans le monde entier. Cela n’empêche nullement Moorea de posséder de nombreux autres atouts, terroirs, produits et producteurs, qui font toute la richesse de l’île. Tama’a vous invite à leur rencontre.
Bruts ou transformés, que vous aurez le bonheur d’acheter dans les nombreux magasins qui ponctuent chaque district ou, tout simplement, en vous faisant surprendre par ces petites tables spontanées, improbables et garnies du bord de route, tous racontent Moorea. Qui invite au bavardage, au farniente, à la rêverie.
La sirène du ferry sonne le rassemblement.
Tickets en main, cohue de groupe, masques colorés (de circonstance) sur le bout du nez, c’est un véritable
arc-en-ciel de couleurs qui traverse la passerelle suspendue entre les salles d’embarquement et les ferrys. Le Terevau luit de son rouge festif, tandis que le dauphin qui orne ses flancs semble prêt à bondir. Un ‘ia orana souriant accueille les voyageurs de l’autre côté du passage. On prend place, dedans, dehors, sur les côtés, en bas au bar ou dans la salle où les plus sensibles espèrent une traversée apaisée. C’est le cas aujourd’hui. Même le passage de la digue qui sépare le lagon de Papeete du chenal ne produit aucune vague. Calme plat, brise légère, bière fraîche : Moorea, nous voilà !
“La route fait corps avec le paysage, se faufile entre les arbres, se paie une halte en bordure de lagon, laisse le sable la recouvrir par endroit, franchit les ruisseaux et caresse les falaises qui la borde de leur ombre attendue. Chèvres, chevaux, vaches occupent les versants, traversent la route parfois, comme pour rappeler au visiteur que Moorea est bucolique sous son air tropical et qu’il faut prendre le temps de la parcourir. "
L’arrivée se fait dans la baie de Vaiare.
Notre désir de poser un pied à terre, de récupérer voiture et barda sans rien oublier, est tel qu’on en oublie de l’admirer. Elle est pourtant attirante, cette baie de Vaiare, sous ses airs de jungle vierge protégée par de hauts et verts sommets.
La police municipale assure la circulation des voitures qui partent, d’autres qui arrivent, sans oublier celles qui attendent : un brouhaha de moteurs, de pick-ups et de piétons qui semblent tisser un nœud inextricable. Et pourtant, en quelques minutes, tout le monde s’est envolé, par le sud, Afareaitu, ou bien par le nord puis l’ouest, que l’on appelle la route des baies : Temae, Maharepa, Pao Pao puis ’Opunohu.
Quelle que soit votre destination finale, c’est bien par cette route du littoral que vous allez savourer Moorea, l’île aux mille saveurs, sourires, senteurs. Bienvenue sur l’île authentique.
« Mais qu’est-ce qu’elle vient nous gonfler avec sa route, celle-là » s’étonne le touriste puriste, qui ne rêve que de champs d’ananas et de plages dorées. Outre le fait que ce long ruban parcourt les 60 km du tour de l’île, vous comprendrez que toute la vie de Moorea, ou presque, se tient sur ses flancs. C’est à ce parcours en photos que l’on vous invite dans ces pages : mille parfums, mille sourires, comme c’était promis.
"Le lagon, de tous côtés, a l’éclat des pierreries. Paré d’une telle variété de bleus si purs, on ne se voit plus voguer, mais flottant, suspendus dans la lumière des eaux diaphanes. Derrière nous, le récif retient l’ardeur de l’océan, bleu acier, plus opaque, un brin gouaché. "
Bord de mer au milieu de la baie de Atiha : sous un très spacieux chapiteau, notre vendeuse et son tane proposent un large choix de fruits et légumes de saison, toute l’année. L’emplacement de ce marché est idéal et bienvenu dans cette partie de l’île plus pauvre en magasins et stands de bord de route.
Pêche durable à Vaiare, où l’on pêche en famille, au pupuhi ( fusil) avant de vendre le fruit de sa pêche bien fraîche en bord de route.
Stand de fruits, bouquets de fleurs de tiare et couronnes odorantes devant l’école de Paopao.
Stand d’artisanat de confection de couronnes en plein air à Vaiare, côté montagne face à la gare maritime, à l’ombre d’un bel arbre centenaire. Un spot à ne pas manquer pour les visiteurs désirant orner leurs amis à la sortie du bateau !
Stand de fruits et légumes sur le bord de la route, après la plage Ta’ahiamanu. Régalez-vous de ces achats nature et abusez de tous ces produits : aucun fruit vendu ici n’est traité !
Les belles histoires ont toujours, aussi, une fin.
Celles de Moorea s’achèvent dans un soupir, un sanglot parfois : quitter cette île au mana si puissant, si bienfaisant est un appel certain à y revenir, que l’on arrive de l’autre côté du chenal ou de l’autre côté du monde. A bientôt alors...
Fare Tutava, des saveurs et des sourires à Papetoai. Tables à disposition et carte de produits frais pour les visiteurs de passage.
Papetoai est une sorte de grand verger planté de maiore (ancien nom du ‘uru) où les maisons en tôle ou en pinex se dissimulent dans la verdure. Autrefois, les jardins formaient une avenue de gazon qui absorbait la route en soupe de corail. Dommage aujourd’hui que la grande piste cyclable soit sans cesse recouverte de sable et de gravier. On y dérape plus souvent qu’on souhaiterait y rouler.
Moorea est tout entière dévouée à la préparation du ma’a Tahiti. Au fond des vallées, les fe’i, indispensables. En bord de mer, ‘uru, badamier (autera’a), pandanus (et leurs fruits, le fara). Sur les pentes et plateaux peu élevés, les orangers, pamplemousses et citronniers. C’est là aussi que sont cultivés patates douces, taruā (variété qui donne les jeunes feuilles de fāfā), ignames, manioc, courges, papayers, à l’abri de bosquets de manguiers...
Les mape, aux châtaignes croquantes, offrent des mets de choix. Dans les cours d’eau, on pêche les chevrettes de nuit, au pareu ou à la pique en bambou. Les cochons des élevages domestiques sont réservés aux grands Tāmā’ara’a (banquets).
Des ukulele et des bijoux d’artisanat local à Maharepa, côté montagne dans la servitude avant Caraméline, composés de coquillages, fibres, nacres et perles des îles. Des fruits et légumes du fa’a’apu, à Haapiti, côté mer après les pompiers à l’ombre d’un tamanu.
Portrait bucolique d’un bord de mer à Moorea... des va’a qui dorment, coque en l’air, veillés par des chiens tout aussi somnolents, des fruits désintéressés qui attendent d’être consommés ou vendus, un bric-à-brac d’une vie, où rien ne sert mais où tout est indispensable, un jour... Douce vie d’une île dont les habitants ont conservé le bon sens du quotidien et des rapports humains. Montesquieu aurait dit d’eux : « Ils ne sont pas assez savants pour raisonner de travers. »
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