Il n’y a pas que des horlogers suisses, européens ou asiatiques. Emmanuel Faaitoa est horloger polynésien, dont les racines françaises créent un pont entre continent et lagon, entre une mécanique précise et la noblesse de la nacre, entre le haut Doubs et Tahiti. Histoire d’une réussite, qui mène cette année l’artisan jusqu’à l’Élysée, où Temanus Tahiti vient d’être récompensé pour son travail aussi atypique que qualitatif. La seule marque de montres polynésiennes, dont l’écrin… est une noix de coco.
© Texte : Doris Ramseyer - Photos : Emmanuel Faaitoa
Une récompense remarquable
Un Indien dans la ville. Un Polynésien au palais de l’Élysée. C’est dans cet état d’esprit qu’Emmanuel Faaitoa arrive fin juin à Paris, décalé après une quarantaine d’heures de voyage, laissant derrière lui le sable noir et les cocotiers de la pointe Vénus. En moins de deux jours, il se retrouve propulsé au palais présidentiel pour y être récompensé.
Il y a quelques mois encore, Emmanuel remplissait consciencieusement son dossier pour participer à la troisième édition de La Grande Exposition du fabriqué en France. Au fur et à mesure que l’horloger découvre les consignes de l’événement, une certitude humble l’habite. Elles correspondent exactement à son type de travail : une production respectueuse de l’environnement.
De l’Europe à la Polynésie
Comment cet artisan au travail atypique, au parcours qui ne l’est pas moins, en est-il arrivé à ce stade ? Une question d’être là au bon endroit, et au bon moment, selon Emmanuel, pour qui créer ressemble à une aventure aussi captivante que réjouissante. J’en suis là grâce à mes parents, à un père qui ne pouvait demeurer sans ses cocotiers, et à une mère qui ne pouvait vivre sans ses sapins. Son enfance s’inscrit ainsi entre deux continents et deux cultures, qu’Emmanuel rassemble plus tard par le pont de la créativité. Imaginer des montres avec des matières naturelles est un rêve qui l’habite depuis toujours, même après une orientation en électromécanique à Morteau, même quand il part travailler en Suisse. Pendant 14 ans, il monte les échelons du monde horloger helvétique, jusqu’à devenir cadre responsable logistique d’une société horlogère.
Si la quarantaine peut être l’âge d’une crise identitaire, la sienne est celle de l’accomplissement d’un rêve. Il quitte la Chaux-de-Fonds, son emploi, et Emmanuel s’installe à Tahiti avec… Emmanuelle ; celle qui deviendra sa femme est d’origine suisse, et découvre la Polynésie avec des yeux de novice. Pour l’artisan, la Polynésie des grandes vacances devient celle de la réalité professionnelle.
Temanus Tahiti naît en 2008, première marque de montres polynésiennes, brevetée « sans le faire exprès ». L’horloger ne cherchait pas l’unicité d’un produit, il souhaitait enfin concrétiser de ses mains les pensées de son cerveau. Tic-tac, l’aventure vient de démarrer, tic-tac, à l’ombre des cocotiers, tic-tac, mêlant les savoir-faire polynésiens et européens, tic-tac, pour créer des pièces d’exception.
Des créations non conventionnelles
Te manu signifie « l’oiseau » en polynésien : un esprit de liberté et d’aventure, à l’effigie de cet artisan pas comme les autres. Dans l’histoire, un « s » s’est glissé à la fin du mot, « Temanus » est né, et signe depuis les créations de l’artiste. Emmanuel privilégie la mixité des matières, des idées et des talents. Le mécanisme horloger reste l’affaire du haut Doubs, les matières du bracelet proviennent de Polynésie. Si, les premiers temps, davantage de bijoux sont produits, l’horlogerie Temanus Tahiti finit par gagner en notoriété : je me consacre plus aux montres, cela me tient à cœur, affirme l’horloger.
Toutes ses œuvres intègrent des matières naturelles : perles et nacre essentiellement. Leur utilisation détournée interpelle, étonne, et finit par séduire, à Tahiti comme outre-Atlantique. Jusqu’à l’emballage des montres, qui paraît simple et dérisoire en Polynésie, pour devenir chic et exotique à l’étranger. La boîte en noix de coco est devenue emblématique de sa marque, un must désormais attendu par ses clients.
Des créations personnalisées
La force du produit réside en sa matière inusuelle. La nacre du bracelet peut être gravée, reste personnalisable à souhait, et la qualité peut changer en fonction du type de perles utilisées. Une vraie création sur-mesure. Parfois, le boîtier de la montre l’est aussi : au lieu du quartz, certains passionnés lui préfèrent le mouvement automatique.
À Tahiti, l’artiste travaille notamment avec Gee Mee Lee Créations. Ensemble, ils façonnent des pièces extraordinaires, comme cette montre lauréate à Paris, dont le design est son œuvre. Une seule boutique abrite les créations de Temanus Tahiti : Moemoea and Co à Papeete ; à l’étranger, Emmanuel parcourt salons, foires, événements horlogers, et confectionne les demandes sur-mesure de ses clients.
Le créateur imagine régulièrement de nouveaux modèles. Pas uniquement des montres. Il conçoit toujours et encore des bijoux, pour lesquels il marie la perle à des supports moins communs, comme la céramique ou le titane, il fabrique des stylos élégants en perles de culture de Tahiti, et conçoit… des horloges-surf ! Il en apporte d’ailleurs quelques-unes à Paris : les planches au mécanisme horloger, créées en collaboration avec Souchi Art, dont l’une a été dessinée en vue des futurs Jeux Olympiques, sont désormais exposées boulevard Saint-Germain, dans la vitrine de la Délégation de la Polynésie française.
La Grande Exposition du fabriqué en France, édition 2023
Bien avant qu’elle ne fût exposée à Paris, le Franco-Tahitien rêvait de concevoir une telle montre. Née au début de cette année, elle cristallise tout son talent et celui de ses collaborateurs, elle réunit ses deux sangs mêlés, comme sa double passion horlogère et nacrière. Les reflets iridescents du lent travail de l’huître perlière habillent avec élégance le boîtier et sa mécanique précise ; entourée de sinuosités gravées et rehaussée de perles, elle continue à marquer immuablement le temps. L’utilisation de la nacre engendre un savant calcul et une technicité pointue, pour obtenir le poids adéquat, et un diamètre en accord avec le boîtier. Sans oublier l’emballage en noix de coco !
Se trouver là au bon moment, au bon endroit, c’est sûrement d’avoir saisi l’opportunité de s’inscrire à la prestigieuse exposition. Elle s’annonce justement peu après la création de cette montre d’exception. C’était magique de voir ma montre et ma noix de coco à Paris ! affirme l’horloger. Emmanuel est le seul Polynésien dont le dossier est retenu, et l’un des 124 lauréats récompensés parmi les candidats de France et d’outre-mer. Ce n’est qu’après coup que l’artisan prend conscience de ce qui lui a paru se dérouler comme un rêve, début juillet 2023. L’invitation au vernissage. L’exposition à l’Élysée. Le fait d’avoir été cité dans le discours d’Emmanuel Macron. La rencontre brève, mais inopinée avec le couple présidentiel. La récompense pour son travail. La notoriété qui en découle...
Si bien que des questions affluent dans son esprit. Certes, son travail avait commencé à être reconnu, en Europe comme en Polynésie. Certes, les premiers salons, les premières errances remontent à loin, à présent. Mais, comment réorienter son activité depuis cet illustre coup de projecteur ? Continuer à créer au gré des commandes, en exposant ici et là, ou développer sa petite entreprise ? Lui seul le sait ou le devine. Emmanuel a de quoi méditer, face au lagon de la pointe Vénus, balayé par les alizés.
Fb : Temanus Tahiti
Créations Temanus Tahiti en vente à la boutique-atelier Moemoea and Co, Passage Cardella, Papeete