© Texte & photos : Doris Ramseyer
À l’entrée de la vallée d’Opunhu s’élève une étrange bâtisse. Carapace arrondie, tavelée de panneaux solaires, hérissée d’arrêtes métalliques : c’est le nouveau musée Fare Natura. Truffé d’innovations technologiques, il fait le lien entre terre et mer, entre science et population.
Tel était le rêve d’une équipe dynamique et motivée. Visité par Emmanuel Macron le 27 juillet, inauguré quatre jours plus tard, le musée est désormais ouvert au public.
Bonne visite !
Apprendre autrement et par diverses approches, tel est le credo du musée, de son directeur et de l’EPHE
Un musée de forme atypique, au fond innovant
Il y a trois ans démarrait un chantier peu banal à Moorea. Certains y voient la coque inversée d’un bateau. D’autres, un nohu (poisson pierre). Pour l’architecte français Jacques Rougerie, c’est à la fois un coquillage et un arbre du voyageur. D’ailleurs le voyage démarre dès le seuil de l’écomusée. Here’iti Vairaaroa, chargée de communication, m’entraîne à sa suite...
Derrière le tiki gardien d’entrée, derrière les piliers racontant deux légendes naturalistes de Moorea, s’ouvre un espace bleu mer. C’est comme si nous partions en plongée, mais sans équipement. Quatre aquariums s’étalent devant nos yeux comme autant d’écosystèmes. Du littoral, au lagon, à la barrière récifale où l’eau est balayée de vagues et courants, au milieu mésophotique. Dans ce dernier bassin, on pique à 80 mètres de profondeur. Les poissons parfaitement réadaptés nagent entre les gorgones qui déploient leurs éventails de branches coralliennes. Un exploit réalisé par le Criobe, grâce à un appareil dépressurisé pour ramener la faune des profondeurs à la surface.
Te Fare Natura, un musée comme une « boîte à outils » au service de la population.
Un doux bruissement aquatique nous aspire à tribord. Nous voici entre les coraux. Toute une technologie est réunie pour ressentir cette fragile vie corallienne, au moyen de grandes photos sur plaques de verres incurvées, de projections, et même d’un jeu vidéo pour enfants. Sous un casque virtuel de l’espace médiation, nous plongeons dans le lagon, entre madrépores et raies pastenague.
Entrevue avec Audrey Berti & Tetiamana Herveguen, auteurs du court métrage « Ruro Te Otatare no Moorea »
Elle vient de France, lui de Polynésie. Bordeaux est leur point de rencontre, à l’école du cinéma 3IS. Ensemble ils réalisent le film sur le ruro, le martin pêcheur de Young. Rare et unique à Moorea, inscrit sur la liste rouge internationale des espèces menacées, l’oiseau n’est pourtant pas protégé. En immersion dans la forêt de Moorea pendant trois mois, armés de matériel de camouflage et de puissants téléobjectifs, ils guettent ce petit oiseau méconnu. Même les anciens l’ont oublié, même les légendes le négligent. La seule chose que l’on sait, c’est que son chant annonçait la mort. Et s’il proclamait autre chose ? S’il était témoin de l’arrivée des premiers polynésiens, puis de celle des européens ? Pour le réhabiliter, le réintégrer dans l’histoire polynésienne, Audrey et Tetiamana vont donner la parole à cet oiseau. Une voix envoûtante (celle du grand-père de Tetiamana) raconte en reo tahiti la nouvelle histoire du ruro. Une flûte éparpille ses notes ancestrales dans la forêt humide. Une ambiance mystérieuse, des images époustouflantes, une approche originale et culturelle : le film est percutant. Il sera proposé au prochain FIFO. En attendant, il est à découvrir au Fare Natura.
Tetiamana et Audrey, deux jeunes au talent prometteur, partis en immersion dans la forêt pour dépister le mystérieux ruro. Ici entourés des grands-parents de Tetiamana (dont le grand-père et sa voix d’orero) et du directeur, Olivier Pôté.
Espace médiation : des casques virtuels, offerts par la DIREN, emmènent les visiteurs en plongée dans le lagon. Pour capturer l’intérêt de tous, des films naturalistes et un jeu vidéo sont également proposés entre les lames de verres coralliennes.
Sensibilisation écologique
Des expositions temporaires jalonnent le circuit. Nous sommes sensibilisés à la dégradation des déchets (travail des collégiens de 5e5 d’Afareiatu en collaboration avec plusieurs associations), à l’enchevêtrement des cétacées (Concrètement Design et Oceania), à l’éclosion des tortues (Te Mana o te Moana), au martin-pêcheur de Young (voir encadré), à la création d’un chemin avec Moorea Biodiversité. Représentée par Marie Jeoffroy, l’association travaillera avec les jeunes du Fare Natura pour réhabiliter la biodiversité du sentier originel des guetteurs de la vallée. Ouvrage partagé avec le collectif les Bourdons. La responsable, Muriel Raddato et son équipe, ramassent inlassablement depuis deux ans les déchets trouvés sur l’île.
Ici c’est notre boîte à outils
Nous poursuivons à bâbord. Sur un grand écran en forme de vague est projeté un film de Moorea en 3D, en interaction avec des tablettes aux jeux collaboratifs. Dans la même zone, une autre projection retient l’attention de Here’iti : la légende de Ta’aroa sur l’éclosion des continents. Les connaissances scientifiques occidentales se superposent à l’approche empirique maorie. Deux mondes se rejoignent, deux façons d’expliquer des phénomènes naturels. Comme partout dans l’écomusée, priorité au reo tahiti, avec sous-titrage en français et en anglais.
Apprendre autrement
« Ici c’est notre boîte à outils » confie Here’iti. « Et elle est au service de la population. »
Les informations scientifiques qui s’appellent biodiversité, géologie, anthropologie, écologie deviennent sons, images, expériences, impressions, émotions. Par une approche scientifique, culturelle et artistique, la sensibilité de chacun est touchée, l’information se personnalise. C’est un des buts du musée, c’est aussi celui de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE). Et du directeur Olivier Pôté.
Rencontre sur la terrasse du musée avec un homme jovial et chaleureux. Son énergie positive rayonne autour de lui : l’équipe du Fare Natura est jeune, complice, enthousiaste. Quelque chose de fort les relie.
Un écomusée culturel & social
Olivier Pôté, formé en agro-écologie en France, fonde l’Adie (association de microcrédit) lors d’un premier séjour en Polynésie. Début 2017 il crée FACE (Fondation Agir Contre l’Exclusion). Olivier n’avait pas prévu d’être directeur de musée, mais le poste lui est proposé avec insistance. Dès qu’il perçoit le but social, il s’investit dans le projet : un écomusée qui prend soin des jeunes de sa vallée. Olivier considère avoir eu une enfance privilégiée et conserve cette valeur héritée de ses parents instituteurs : celle d’offrir une chance à ceux qui en sont dépourvus.
Le directeur confie : « l’accès au lycée pour les jeunes de Moorea est compliqué, le décrochage scolaire fréquent, les lieux de formations rares. » Souvent ils se sentent dévalorisés, alors qu’ils sont riches des connaissances de leur vallée. « Je vais les chercher dans leurs quartiers ! » intervient Lahiki, responsable à l’accueil. « Je leur dit qu’au lieu de planter du paka, il peuvent planter du taro ! ». Au Fare Natura, les jeunes du service civique apprennent la médiation scientifique et culturelle, l’accueil et la réorientation touristique, le travail de la terre (taro, canne à sucre, arachide), la transformation des cultures et la vente, la biodiversité avec le sentier des guetteurs. Après leur formation, ils pourront créer leur fa’apu, devenir guides de randonnée ou prestataire touristique, avoir un avenir, dans le respect et la connaissance de leur terre.
L’équipe des Bourdons, à la traque des déchets sur l’île pour éviter qu’ils ne finissent dans le lagon.
Avec Moorea Biodiversité et les jeunes du Fare Natura, ils travailleront sur le sentier des guetteurs.
Te Fare Natura, un musée mais pas seulement
Terai Aiamu : « J’ai 20 ans, je travaille au Fare Natura depuis quelques semaines. C’est Olivier (le directeur) qui m’a cherché dans mon quartier. J’ai arrêté mes études à 17 ans, ce que je regrette. Mais maintenant je suis en formation au Fare Natura pour 10 mois, en contrat service civique. » Terai se forme en apiculture. Des étoiles pétillent dans les yeux du jeune homme. Sa tête fourmille de projets. « J’aime carrément le Fare Natura, on fait une belle équipe. J’ai trouvé un bon patron, je suis content de mon travail, j’ai de bons formateurs. »
Tamatoa Gay : « J’ai un bac pro en aquaculture. Je suis passionné des poissons et de l’écosystème marin depuis longtemps. Je suis en formation à l’EPHE pour 5 ans au Fare Natura afin d’obtenir un diplôme en aquariophilie. J’entretiens les aquariums du musée, je m’occupe de l’aménagement, je nourris les poissons. Quand les juvéniles grandissent, ils sont relâchés dans le lagon et remplacés par d’autres petits poissons, il y a toujours un roulement. Les coraux prélevés dans le lagon s’acclimatent en douceur, pour éviter de gros chocs. Pour capturer les poissons, on les anesthésie brièvement avec de l’huile essentielle de clou de girofle. On choisit des espèces variées qui s’accordent ensemble. »
Tamatoa réalisera son mémoire sur le comportement des poissons dans des milieux différents.
À gauche : Tamatoa et Terai, deux jeunes motivés en formation au Fare Natura .
À droite : Olivier Pôté emmène les visiteurs à sa suite dans le jardin, à la découverte des plantes endémiques et leur histoire culturelle.
Immersion sous-marine au Naturascope, à la rencontre de la faune aquatique, ici avec le requin baleine.
Voyage sous-marin
Retour au centre du musée. Pile entre les aquariums. Devant nous s’ouvre un couloir sombre aux teintes bleues océan. Nous entrons dans le Naturascope. Si l’on avait encore résisté à l’immersion, à présent elle est totale. Murs et sol se recouvrent d’eau. Des bancs de poissons nous frôlent, des requins apparaissent. On s’égare vers le large, à la rencontre de cétacés et gros requins. On ouvre grand les yeux.
L’écran s’éclaircit. Déjà fini ?
Pas tout à fait. Il reste la découverte du jardin riche de plantes endémiques, traversé d’un cours d’eau où se reflète le singulier coquillage. Bientôt le sentier rejoindra celui des guetteurs, traversera la forêt jusqu’au piton rocheux au-dessus du musée. Le regard s’accroche au dôme du musée où bat le coeur d’un véritable cercle vertueux. Les montagnes environnantes sont encore éclairées. La baie d’Opunohu glisse dans l’ombre. C’est la fin de la journée. Demain le musée offrira son captivant voyage à de nouveaux yeux émerveillés.
A la fois stimulants et apaisants,
les aquariums avec ses poissons
et coraux captivent petits et grands.
Le musée en chiffres
L’idée du musée naît il y a 9 ans, se concrétise en 3 ans
Coût du Fare Natura : 943 millions cfp (cofinancement 40% État, 60% Pays)
25 000 visiteurs annuels attendus
Naturascope : cinéma type Imax à 270°. Film de 8 minutes avec 5 vidéo projecteurs, 2 pour les murs du fond, 2 sur les murs latéraux, un au sol 4 aquariums d’une capacité de 600 litres chacun
Jardin : 3000 m2. Création du sentier des guetteurs sur 1,5 km
25 casques de réalité virtuelle offerts par la DIREN (Direction de l’Environnement) qui voyagent vers des associations culturelles, personnes handicapés ou incarcérées
Formations au Fare Natura : 5 semaines pour les jeunes du RSMA. 10 mois pour ceux du service civique. 5 ans pour les élèves de l’EPHE
L’équipe actuelle de l’écomusée : 7 employés permanents dont le directeur, 2 élèves de l’EPHE, 22 jeunes du service civique, 5 stagiaires du RSMA qui achèvent leur stage, une jeune stagiaire volontaire.
CONTACTS
Criobe Moorea
Centre de Recherches Insulaires
et Observatoire de l’Environnement
Baie d'Opunohu
Fare Natura
Baie d'Opunohu Facebook & Instagram : Te Fare Natura
Pour en savoir plus sur l’Ecole Pratique des Hautes Etudes : www.ephe.psl.eu.
Un établissement-composante de l’Université de Paris Sciences et Lettres, fondé notamment par Pasteur il y a 150 ans. Son but est la transmission des savoirs par la recherche, loin des amphithéâtres. Au musée les visiteurs apprennent autrement, les jeunes de la vallée sont formés pour une réinsertion professionnelle, les étudiants ont accès à des diplômes de masters et doctorats.
Tarifs
Moins de 10 ans : gratuit
De 11 à 18 ans et étudiants : 400 cfp
Adultes résidents polynésiens et métropolitains : 1600 cfp
Visiteurs internationaux : 2100 cfp
Accès gratuit aux jardins et sentiers alentours
Durée de la visite
Environ 2h, plus 1h pour le tour du jardin. A l’accueil, le visiteur est orienté selon ses centres d’intérêts vers un prestataire touristique adapté, pour une découverte terrestre, marine ou sous-marine, afin de parfaire ses connaissances des différents écosystèmes.
Informations pratiques
Ouvert du mercredi au dimanche de 8h30 à 17h (dernière entrée à 16h)
Mardi : journée réservée aux établissements scolaires et associations de quartier, de handicap ou d’insertion
Le lien pour visionner les photos
(photos en haute définition à télécharger) https://public.joomeo.com/albums/611048f744708
L’équipe solidaire du Fare Natura
Vous souhaitez en savoir plus ?
Dossier à retrouver dans votre magazine InstanTANE #12 -septembre 2021