Elles sont consommées cuites ou crues, parfois même directement sur la plage en sortant de l'eau. Les holothuries, aux Australes, font l'objet d'une pêche vivrière régulière.
© Texte : Delphine Barrais - Photos : Delphine Barrais, sauf mention
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Aux Australes, le rori est un mets prisé. Tapeta Hatitio, à Rimatara, plaisante : « On mange tout, sauf les cailloux. » Une fois par mois, elle quitte son foyer à Anapoto pour aller recueillir les holothuries sur une plage qui s’étire au-delà d’Amaru. Elle n’a pas besoin de grand-chose ; un seau, une boîte de conserve et un couteau.
Les holothuries sont consommées cuites ou crues (surtout aux Australes). « Je ramasse les rori tiare ou rori toto », précise Tapeta Hatitio.
En Polynésie française, la pêche commerciale d’holothuries, qui a débuté en 2008, s’est largement développée pour atteindre en 2011 et 2012 des exportations record, à hauteur de 125 tonnes en 2012 (contre 3,1 tonnes en 2019). Face à la pression de pêche observée dans plusieurs îles et la forte augmentation des exportations, le Pays a pris la décision en 2012 de réglementer la pêche ainsi que le commerce de l’ensemble des espèces d’holothuries en vue de préserver cette ressource marine.
Des mesures de gestion ont été prises : limitation du prélèvement, autorisation pour certaines espèces seulement avec des tailles minimales et des quotas, zones de réserve, obligation de prélèvement à la main, interdiction de la pêche de nuit. La pêche commerciale demeure interdite en tout temps et sur tout le territoire, sauf lorsqu’un arrêté du Conseil des ministres autorise une ouverture de pêche. La pêche vivrière reste, elle, autorisée sous conditions.
Tapeta Hatitio récolte les rori à la main, elle longe la plage les pieds dans l’eau. Parfois, les animaux sont simplement posés sur le sable, parfois cachés dans les anfractuosités des rochers. Il faut repérer les petites taches qui permettent de distinguer les rori des rochers qui les abritent. Ensuite, ils sont conservés dans le seau d’eau de mer. Après avoir été prélevés, ils sont préparés directement dans le sable. Ils sont roulés dans le sable, de façon à ce qu’ils durcissent légèrement et supportent la phase de grattage. « On enlève la couche un peu rugueuse qui l’entoure avec les bords tranchants d’une boîte de sardines vide », décrit Tapeta Hatitio. La pression doit être ni trop forte – sans quoi l’animal se vide et se ramollit –, ni trop faible – sans quoi le geste reste vain. Puis, les rori sont vidés et rincés.
« Nous les consommons à la maison et préparons 3 à 4 plats par semaine que nous vendons le dimanche au magasin.»
Rimatara a participé au programme sur les holothuries : 50 géniteurs de rori titi noirs ont été transférés sur Vairao à partir de Rimatara, et une centaine de juvéniles produits en écloserie sur Vairao ont été réensemencés à Rimatara après réussite du premier cycle d’élevage larvaire. Une étude génétique (structure des populations) est en cours (voir encadré).
POURQUOI PRÉSERVER LES RORI ?
Les concombres de mer (holothuries ou rori), au-delà de nourrir les amateurs, jouent un rôle écologique très important dans le fonctionnement des écosystèmes ainsi que dans les processus biologiques des fonds marins. Ils participent au remaniement des sédiments dans lesquels ils s’enfouissent ; ils nettoient les fonds en avalant de grandes quantités de sédiments, qu’ils restituent après avoir digéré la fraction organique ; ils recyclent des nutriments en rejetant des sels de phosphore et d’azote, utilisés ensuite par les algues et les coraux notamment ; ils présentent des associations avec de nombreuses espèces (crabes, crevettes, des espèces proches des escargots et des vers, poissons carapidés…).
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UN ÉLÉVAGE PROMETTEUR QUI FAIT DES PETITS
Dans le Pacifique, l’espèce, classée protégée, est la première ressource marine océanienne après le thon. En 2020, un projet d’élevage d’holothuries a été lancé à Vairao. Les résultats sont très encourageants.
Porté par l’entreprise privée Tahiti Marine Products d’Auguste Buluc, et mené en partenariat avec l’Ifremer et la Direction des ressources marines (DRM), ce dernier a pour objectif le développement d’une filière de production de deux espèces d’holothuries, Holothuria fuscogilva et Holothuria whitmaei. En octobre 2020, 50 géniteurs ont été prélevés en milieu naturel et placés en enclos. La première ponte a eu lieu en décembre. Depuis, la production progresse. Des individus grossissent dans différentes îles. En décembre 2023, par exemple, après les rori titi ’uo’uo (holothuries à mamelles blanches), une équipe a procédé au transfert de rori titi ’ere’ere (holothuries à mamelles noires) à Tupai.
En mai dernier, Tahiti Marine Products a inauguré son local de valorisation. Le projet d’élevage présente divers objectifs (notamment, la valorisation de substances actives en cosmétique). Cette étape a marqué un grand pas dans son avancement puisqu’il permettra de transformer les holothuries (rori) en poudre, afin de proposer des compléments alimentaires d’ici à la fin de l’année. Source de collagène, vitamine D et minéraux, notre poudre d’holothurie est une solution anti-âge naturelle qui contribue également à l’équilibre du système immunitaire.