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Remu vine, le caviar vert des Australes

Texte : Alix Baer - Photos : ©DR


Les restaurateurs des îles de la société, où se situent les plus nombreuses adresses, ont le sourcil dressé et le regard gourmand, quand on leur parle de remu vine : peu de produits en effet sont aussi rares et recherchés que cette algue joufflue de centaines de perles iodées, aussi délicate que craquante. Les japonais l'ont surnommée le green caviar du pacifique. Tama'a a souhaité en savoir plus sur cet atout méconnu des Australes et des Marquises, qui nous en apprend aussi sur le rapport des anciens Polynésiens avec des ressources secondaires du lagon.


 

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La consommation d’algues, chez les anciens Polynésiens est attestée par les habitudes alimentaires rapportées par les premiers explorateurs européens. Le peuple Māori de Aotearoa (Nouvelle-Zélande) utilisait traditionnellement quelques espèces d’algues rouges et vertes, issues des côtes. Les Hawaiiens de leur côté consommaient jusqu’à 39 espèces d’algues différentes, « non seulement des algues marines, mais également des algues d’eau douce […] ainsi que quelques coraux mous. » (Serra-Mallol, p. 45).


Remu, imu, racontent des traditions disparues

En 2002, Eric Conte, archéologue et ancien président de l’Université, accompagné de Claude Payri, avaient étudié la consommation d’algues en Polynésie française (Journal de la Société des océanistes, Paris, n° 114-115, pp. 165-172).


Les anciens Polynésiens de Polynésie orientale ont eux aussi consommé des algues, aussi bien dans les Tuamotu qu’à Tahiti ou dans les autres archipels aux îles hautes. Etait-ce plus favorablement en période de disette qu’en période d’abondance ? Sans doute, comme nombre de mets secondaires de l’alimentation, sur lesquels nous reviendrons.




Mais il faut ajouter que l’offre restait intéressante pour la population : pas moins de 425 variétés (taxa)

sont présentes en Polynésie orientale, et toutes, notamment aux Marquises, n’ont pas encore été identifiées

ou répertoriées. L’algue, aux Marquises, se dit imu. 6 sont toujours consommées sur l’île de Ua Huka, notamment l’algue imu-vai, (algue d’eau douce) et l’algue-mûre (imu tapaa), dans le sens qu’il faut la laisser

« mûrir » durant une journée avant de la manger. « Toutes ces algues sont consommées crues, directement sur le lieu de leur collecte à l’occasion de pêches ou de ramassages de coquillages par exemple, ou bien durant les repas. Elles sont alors pour la plupart arrosées d’un jus de citron auquel on ajoute d’ordinaire du lait de coco. » (Conte, Payri, p. 170).


Les Hawaiiens ont toujours eu une préférence pour les algues rouges, contrairement aux Polynésiens qui n’en consomment pas. « De même, l’algue verte Codium geppiorum, très prisée à Hawaii et dans de nombreuses îles du Pacifique, n’est pas, à notre connaissance, consommée en Polynésie française alors qu’elle y est commune sur les platiers. » (Conte, Payri, p. 171).



Remu vine, imu topua, trésors de Moana

L’algue-fleur (imu topua, Caulerpa racemosa) ressemble à une algue marine qui est particulièrement recherchée de nos jours : le remu vine (Caulerpa, Ulva). Si aux Tuamotu et dans l’archipel de la Société, elle s’est semble-t-il raréfié, elle est toujours présente aux Australes et aux Marquises. Cette algue est si bonne à déguster qu’elle est devenue aujourd’hui un mets de choix. Aux Marquises, « les caulerpes sont collectées en prenant grand soin de ne pas écraser leurs « fleurs » et, dans le panier en palme de cocotier employé lors du ramassage des algues, elles sont disposées à part pour les protéger. On note également que ce sont les seules algues qui possèdent assez de goût pour être appréciées sans ajout de jus de citron. » (Conte, Payri, p. 170).

Cette algue est très appréciée dans tout le Pacifique, au point qu’au Japon, des fermes d’élevage ont été créées dans les années 1980. Le Territoire en a pris conscience et a souhaité mettre en place, aux Australes, à Tubuai plus particulièrement, des élevages en bassins sur terre (le remu vine a horreur « de l’eau douce, de la poussière et de l’aspect laiteux qu’il y a dans le lagon » selon Georges Remoissenet, ingénieur à la DRM, cité par Tahiti Infos. L’algue ne survit pas non plus dans des aires lagonnaires où passent trop de bateaux, où sont effectués des travaux, où sont bâties des constructions. Le remu vine est fragile. Bonne nouvelle, la direction des ressources marines, en liaison avec l’Université de Polynésie, est en charge de ce dossier depuis 2016 et effectue ses tests. Espérons qu’ils soient concluants.


Mise en garde :

Aux touristes et visiteurs de passage : le remu vine est fragile. Si vous avez la chance d’en trouver et d’en cueillir, ne tirez pas sur la grappe, mais coupez-en des morceaux de 5 à 8 cm environ, sans mettre en danger la plante elle-même. Les collectes sauvages sont interdites : protégez les ressources du fenua, elles sont précieuses et rares.



A retrouver dans le magazine Tama’a n°10 - octobre 2019


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