L’âme d’un guerrier pacifique
Texte et photos : Virginie Gillet
Malgré une main droite cassée en début de saison, Raihere Dudes, 27 ans, est sans conteste l’athlète tahitien le plus performant à l’international de l’année 2018. Mais il n’a pas toujours été reconnu et célébré comme tel malgré un palmarès en tous points impressionnant. Il faut dire que le jeune homme n’a pas forcément choisi la voie la plus simple : il est champion de MMA (l’acronyme d’arts martiaux mixtes), une discipline dont les compétitions sont encore interdites en France, et donc à Tahiti. Mais tout pourrait changer en 2019…
Fils d’un ancien boxeur de talent à qui sa grand-mère, inspectrice des écoles, n’a pas pemis à l’époque de faire carrière aux États-Unis, Raihere Dudes, passionné d’arts martiaux depuis toujours, a commencé par pratiquer la boxe anglaise avec son papa, puis le taekwondo, le karaté et la boxe thaï à laquelle il s’adonnera durant 5 ans et qui lui offrira cinq titres d’affilée de champion de Polynésie en amateur et cinq autres en light contact. Mais après cela, le jeune homme a encore eu envie d’expérimenter d’autres choses. Il s’est alors tourné vers le MMA dans lequel il choisira même de faire carrière après deux années d’un DEUG de droit suivi à l’Université de Polynésie. Un parcours pas évident du tout qu’il lui rapportera, entre autres, en quelques années trois titres de champion du monde, une ceinture européenne et quatre américaines dont celle de la California Cage Wars 2018. Un titre qu’il a remis en jeu le 21 janvier dernier, décrochant une nouvelle victoire par KO après 50 secondes seulement de combat contre Donnie Camp, un adversaire pourtant issu d’une catégorie supérieure à la sienne.
Combattant hors norme, Raihere Dudes pour résumer c’est 20 victoires et 3 défaites pour 23 combats, dont 3 victoires dès le 1er round par KO ou soumission sur 3 combats disputés en 2018… ce qui valait très largement un portrait dans nos pages !
« Les Américains me disent sans arrêt de venir m’installer chez eux en mode “tu vois déjà tout ce que tu es capable de faire juste en t’entraînant chez toi ! Alors tu imagines tout ce que tu pourrais faire en venant ici avec nous ?”, mais je ne peux pas : j’ai ma famille ici, des liens, un prêt… Mon Pays, c’est ici. »
Pour ceux qui n’y connaitraient vraiment rien, le MMA, c’est quoi et comment es-tu “tombé dedans” ?
Raihere Dudes : “Après avoir touché à de nombreuses disciplines, y compris la lutte et le jiu-jitsu pour les entraînements, j’ai un peu commencé à m’ennuyer, notamment par manque de combattants de mon niveau auxquels me confronter, et j’ai eu envie d’essayer autre chose. À l’époque, tous les samedis soir sur la chaîne RTL 9, il y avait une soirée UFC, l’équivalent de la Ligue 1 pour le MMA, qui est un mix en fait de toutes les disciplines martiales. J’ai très vite accroché au point que mes copains se foutaient de moi à cause de ce petit rituel. Il faut dire que je leur avais aussi dit que c’était ce que je voulais faire (rire) !
Mais je m’en suis donné les moyens. Pour être sûr de mon choix et de ma décision, comprendre tout ce qu’elle impliquait, à 20 ans je suis parti 5 mois et demi au Canada. J’ai eu la chance d’y côtoyer Georges St-Pierre, réputé comme le meilleur combattant au monde, qui m’a beaucoup aidé, à me loger, m’a fait un prix sur les cours, m’a inculqué l’importance de la nutrition pour faire une vraie carrière…
Pendant cette période, j’ai pu m’entraîner comme un professionnel, apprendre à gérer les choses en étant éloigné de ma famille ; ce voyage a été un déclic, conforté par mon premier combat, que j’ai perdu, mais qui a laissé sur moi une trace indélébile. Ils m’ont mis devant un pro qui avait déjà 8 combats à son actif, vice-champion du monde de lutte en plus, et quand j’ai vu de quoi ce gars était capable… et l’engouement suscité par la discipline en Nouvelle-Zélande, j’ai mesuré tout le chemin qu’il me restait à parcourir pour parvenir au niveau auquel j’aspirais. J’ai été tellement impressionné que je me suis remis en question. Ça m’a permis de prendre une vraie décision et d’intégrer que quand tu veux vraiment te lancer dans quelque chose, il ne faut surtout pas abandonner au bout du premier échec.”
Qu’est-ce que le MMA a apporté à ta vie ?
“En premier lieu, plus de confiance en moi. Et puis le fait d’être le premier Tahitien à faire ça sur le circuit pro et à être reconnu, ça m’a donné une ligne de conduite. Je me suis senti investi d’une mission : celle d’être un exemple et pour cela d’adopter un comportement exemplaire. Je n’ai pas bu une seule goutte d’alcool, pour commencer, depuis mes premières compétitions.”
Est-ce que ta carrière représente un vrai sacrifice ?
“Évidemment. Parce que tu ne peux pas t’entraîner à moitié. Aux États-Unis, ils disent : “pendant que tu dors, ton adversaire s’entraîne plus que toi”. J’ai complètement adopté cet état d’esprit. Je m’entraîne tous les jours, la salle est ma deuxième maison. Et puis il y a eu beaucoup de sacrifices aussi au niveau de ma vie sociale… Heureusement qu’il y a les potes de la salle désormais, car j’ai quand même perdu beaucoup d’amis en route, à force de rater les anniversaires et de renoncer aux sorties. Pour la famille non plus ce n’est pas facile, surtout depuis que je suis papa. Au bout de quelques jours à l’étranger, j’ai trop envie de rentrer pour voir mon bébé.”
Quels sont les traits de caractère qu’il faut avoir pour performer dans cette discipline ?
“Avoir un mental fort. Tu es le seul à pouvoir gagner ou perdre, lâcher prise ou t’accrocher. Dans la cage, tu es d’abord confronté à toi-même, tu ne peux plus te mentir. Bien sûr si tu es agressif, tu vas avoir l’impression d’être dans ton élément. Mais il y a beaucoup de combattants très zen, presque trop calmes. C’est essentiellement de la stratégie en fait et même de la science. Les Américains, ils calculent l’angle de tes déplacements pour que tu puisses t’améliorer. Il n’y a aucune place pour le hasard. Certains ont même de sacrés bagages : je connais un combattant prof de maths à Harvard !”
Que penses-tu du fait que le MMA soit encore interdit en Métropole ?
“J’ai honte de dire que c’est interdit chez moi à l’étranger en fait. Tahiti et la France sont les deux seuls endroits où ça l’est encore. Aux États-Unis, ils trouvent ça tellement ridicule qu’ils pensent que c’est une blague ! On sait qu’il y a des fédérations derrière ce blocage, mais je trouve que leurs arguments ne tiennent pas la route. Il y a 10 fois moins de morts en MMA qu’en boxe anglaise par exemple et beaucoup moins de commotions car beaucoup moins de coups portés à la tête. Quant à la cage, elle n’a rien de dégradant ; elle est là pour protéger les combattants et elle le fait bien mieux qu’un ring dont on tombe souvent dans les autres disciplines. C’est vrai qu’on tape un adversaire à terre, mais on le fait aussi en judo, en lutte ou encore en sambo, qui n’est rien d’autre que du MMA en kimono. Et toutes sont autorisées.
Pour pousser plus loin l’absurdité, il faut savoir que le président de la ligue international de MMA, Bertrand Amoussou, est un Français dont le fils a eu tellement honte de l’être, après 10 ans de combats sans reconnaissance et contraint à s’exiler, qu’il est devenu… allemand ! Mais les mentalités ont bien évolué et je crois que 2019 pourrait être une bonne année pour faire avancer les choses. J’ai beacoup œuvré localement pour la légalisation, j’ai rencontré le Président qui m’a offert une oreille attentive et assuré de son soutien ; ce que je trouve courageux de sa part… Je pense que les choses vont enfin changer et je serai fier alors d’avoir tracé la voie.”
Quels sont tes objectifs et plus largement tes aspira-tions ?
“Intégrer l’UFC, la plus grosse organisation d’arts martiaux du monde, américaine, ou la One FC, son équivalent asiatique. Ce serait l’aboutissement de ma carrière. Avant 30 ans, ce serait bien. Même si certains combattent jusqu’à 50 ou 55 ans, je prévois plutôt de m’arrêter vers 35 ans pour éviter trop de séquelles. Ensuite, je me vois bien coach ou préparateur de l’équipe tahitienne. J’aimerais vraiment ader les jeunes à s’en sortir à travers ce sport.”
« Quand tu intègres l’UFC, les enjeux économiques sont tels que l’avenir de ta famille est assuré… Et cela reste l’une de mes principales motivations. »
C’est pour ça aussi que tu as ouvert ta propre salle, Islander’s MMA ?
“Au départ, je l’ai créée pour répondre à une demande importante. Et aussi parce que j’aime partager et voir les gens changer de mentalités. Aujourd’hui, nous avons plus d’une centaine d’adhérents qui ont tous soif d’apprendre. Les jeunes ont besoin d’être cadrés et je suis fier de leur éviter simplement de traîner sur la route et de leur donner une ligne de conduite. Pour ça, je suis très sévère avec eux : par exemple, celui qui se bat dans la rue ne remet plus les pieds ici ! Mais ça fonctionne et je crois aux vertus de cette discipline.”
On te remarque également pour tes tatouages : peux-tu nous parler de leur symbolique ?
“J’ai fait mon premier tatouage après mon premier titre de champion de boxe thaï. Et j’en ai rajouté un nouveau à chaque passage d’une nouvelle étape, toujours en rapport avec les arts martiaux. Je porte notamment deux tiki samoans à l’intérieur de l’avant-bras droit, qui sont comme deux adversaires sur un ring. Au-dessus j’ai un octogone symbolisant la cage avec un drapeau polynésien à l’intérieur. J’ai aussi un A sur le main, pour rappeler The Arena, le nom de ma salle aux États-Unis. J’ai surtout une demi-ceinture autour de la taille pour symboliser mes trois titres mondiaux : elle recevra l’autre moitié lorsque j’aurai intégré l’UFC !”
Est-ce que tu te sens assez porté et soutenu lorsque tu portes si fièrement les couleurs de Tahiti lors des compétitions internationales ?
“Au début, ce n’étais pas évident. J’ai toujours porté fièrement mon drapeau mais je me sentais plus aidé aux États-Unis qu’ici. J’avais le sentiment qu’on ne reconnaissait pas mes efforts, mon apport. Aujourd’hui ça change. Je suis désormais suivi par de nombreux sponsors, ATN ayant été la première grosse société locale à prendre position en faveur du MMA, et je sens que ça va de mieux en mieux. Les gens commencent à comprendre que je ne suis pas qu’un mec qui pense à taper et que ce n’est pas un sport de sauvages.”