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Pandora et les 3 pendus

© Sources : Museum of Tropical Queensland & unmondeenpatrimoine.com/

© Texte & iconographie : Patrick Seurot


Dans le nord-est de l’Australie, Townsville, dans l’Etat du Queensland, abrite le Museum of Tropical Queensland, qui a fêté ses 40 ans l’année dernière. Dans l’une de ses galeries, une exposition permanente intéresse un épisode méconnu des débuts de la période de la Rencontre* : l’expédition de la Pandora** à la poursuite des révoltés du Bounty.

Le HMS Bounty était un petit trois-mâts de 4 canons, appartenant à la Royal Navy. Il prit la mer le 23 décembre 1787 pour aller récolter des plans de ’uru ou arbre à pain, à Tahiti. En effet, le capitaine Cook en avait vanté les qualités nutritionnelles et l’abondance dès 1769 et le ’uru était destiné à devenir la nourriture bon marché des esclaves de Jamaïque.

Le vaisseau accosta à Tahiti le 26 octobre 1788, soit près de 10 mois après son départ d’Angleterre, lors d’une traversée difficile. Il y fit escale pendant près de six mois et repartit le 5 avril 1789 pour Londres.


Or, les dernières recherches (Hough et Alexander notamment) affirment que les marins, s’ils avaient en souvenir la traversée et quittaient avec regret la vie oisive des mois passés à Tahiti, n’avaient aucunement l'intention de se mutiner. Il semble que le comportement de Bligh, dont les colères et l'intolérance atteignirent des proportions paranoïaques, en furent à l’origine. On ignore souvent que, pour cette mission, la Bounty fut modifiée : la grande cabine formant habituellement les quartiers du capitaine avait été transformée en une serre capable d'accueillir plus d'un millier de plants en pot. Cette réduction d'espace signifiait que l'équipage et les officiers, 46 hommes en tout, ont dû supporter une plus grande promiscuité durant les longs mois de traversée.


Toujours est-il que, le 28 avril 1789, alors qu’il faisait encore nuit, Fletcher Christian conduisit la mutinerie d’une partie de l’équipage du Bounty. Les plans de ’uru furent jetés en grande partie à la mer et le capitaine William Bligh ainsi que 18 membres de son équipage furent abandonnés sur une chaloupe, en plein Pacifique sud. Il ne s’agit pas de raconter ici, encore, cette célèbre mutinerie, ni la vie de Bligh, alors jeune lieutenant de 35 ans, ni ce qu’il advint de la Bounty et de son équipage mutiné après son départ de Tahiti, qui fera sans doute l’objet d’un futur bel article. Ici, nous avons souhaité raconter les efforts déployés par l’amirauté anglaise pour rattraper les mutins et en faire un exemple, en armant la Pandora.


Les poursuites

Bligh et ses marins auraient pu mourir. Ils parvinrent à rejoindre le Timor, après une odyssée sun un canot non ponté de 6701 km. Christian connaissait cette éventualité, lui qui prépara de longs mois sa fuite. Quand Bligh arriva en Angleterre le 14 mars 1790, les nouvelles de la mutinerie l'avaient précédé et il fut accueilli en héros. En octobre 1790, il fut d’ailleurs acquitté pour la perte de la Bounty par la cour martiale et promu capitaine. Un mois plus tard, l'Amirauté chargeait la frégate HMS Pandora, commandée par le capitaine Edward Edwards et ses 134 membres d’équipage de capturer les mutins et de les ramener en Angleterre pour qu'ils soient jugés.

Le 7 novembre 1790, la Pandora quittait l’Angleterre en direction du Pacifique sud. Après de longs mois de voyage, le passage du Cap Horn au sud du Chili et une épidémie de Typhus, le navire arriva à Tahiti le 23 mars 1791.


Des 25 membres d’équipage restés à bord de la Bounty après la mutinerie, neuf seulement étaient restés fidèles à Christian après l’échec de l’installation à Tubuai. Les 16 autres, dont certains n’avaient pas pris part à la révolte, mais n’avaient pu embarquer avec Bligh sur la chaloupe, souhaitaient rester sur Tahiti. Une nuit, Fletcher Christian, son équipage et la Bounty disparurent.


Quand Edwards, qui n’était pas un tendre, arriva, il trouva 14 marins. Deux s’étaient entretués. Il ne fit aucune distinction entre les mutins et ceux gardés à bord contre leur gré. Tous furent emprisonnés dans une prison spécialement aménagée dans la plage arrière du navire : une cellule surnommée Pandora's Box (la boîte de Pandore).


Les prisonniers étaient attachés

par les pieds à une barre de fer

et leurs conditions de détention

furent extrêmement dures.





La Pandora resta cinq semaines à Tahiti pour essayer d'en savoir plus sur le destin de la Bounty.

La frégate reprit finalement la mer le 8 mai pour essayer de retrouver les mutins manquants dans les milliers d'îles du Pacifique Sud. Tandis que la Bounty avait filé plein est, la Pandora alla fouiller, durant de longues semaines pour de vaines recherches les îles Tonga, Samoa, Wallis et Futuna, les îles Salomon, la Papouasie Nouvelle-Guinée. Sans succès. Abordant les côtes australiennes à la mi-août 1791, Edwards décida, mauvaise idée, de traverser la Grande Barrière de Corail. Cela n’avait jamais été entrepris par un vaisseau de cette taille. Ce fut un échec. La HMS Pandora fit naufrage contre un récif le 28 août 1791. L’équipage se battit toute la nuit à l’aide des pompes manuelles du bateau pour vider l’eau qui remplissait les ponts inférieurs. Certains prisonniers furent sortis de leur prison pour prêter main-forte. Les efforts furent vains. Quand Edwards ordonna l'abandon du navire, le geôlier commença à retirer les chaînes des prisonniers. Il n'eut cependant pas le temps de finir et quatre détenus attachés dans la cellule - Stewart, Henry Hillbrant, Richard Skinner et John Sumner - ainsi que 31 marins de la Pandora se noyèrent.

Sous les ordres du capitaine, les chaloupes de sauvetage furent mises à la mer puis accostèrent sur un îlot de sable appelé Escape Cay. Trois jours plus tard, quatre chaloupes partirent en direction du nord-ouest. Les hommes étaient entassés. Au terme de trois jours de voyage, ils arrivèrent sur les îles de Torres, au nord de l’Australie. Les survivants, exténués, purent se ravitailler en eau et nourriture auprès des insulaires vivant sur ces îles. Les détenus furent la plupart du temps enchaînés aux mains et aux pieds jusqu'à leur arrivée à Kupang, le 17 septembre 1791.


Ils reprirent alors la mer en direction du Timor oriental qu’ils atteignirent 14 jours plus tard, après un voyage éprouvant au cours duquel ils furent durement rationnés. De là, ils furent rapatriés en Angleterre, à partir de juin 1792.

L’épave du HMS Pandora fut oubliée pendant 186 ans. En 1977, une équipe d’archéologues australiens de Townsville redécouvrit les restes du vaisseau au large de la Grande Barrière de Corail. Le site fut immédiatement protégé et fouillé pendant près de 30 ans, ce qui en fait l’épave la plus étudiée de l’histoire.


Plusieurs milliers d’éléments ont été retrouvés, dont certains en excellent état de conservation – du pot de chambre au service à thé du capitaine, en passant par les flacons de médicaments, des boulets des canons et trois squelettes humains non identifiés.

Certaines de ces pièces sont ainsi mises en valeur dans l’exposition permanente du musée.


Quant aux prisonniers de la Bounty, ils furent détenus dans une prison du port puis transférés dans un navire de la Compagnie hollandaise des Indes orientales qui se rendit au Cap. Le 5 avril 1792, ils embarquèrent à bord du HMS Gordon qui arriva à Portsmouth le 19 juin. Là, ils attendirent leur procès. Parmi les prisonniers figuraient trois loyalistes détenus contre leur gré — Coleman, McIntosh et Norman — à qui Bligh avait promis de rendre justice ; le matelot aveugle Michael Byrne, deux mutins passifs — Heywood et Morrison — et quatre mutins actifs — Thomas Burkett, John Millward, Thomas Ellison et William Muspratt.

Bligh, qui avait reçu le commandement du HMS Providence pour une seconde expédition de récolte des plants d’arbre à pain, avait quitté l'Angleterre en août 1791. Il et n'assista donc pas à la cour martiale qui allait se tenir.

Les quatre premiers cités furent acquittés. Heywood, Morrison et Muspratt furent condamnés mais amnistiés : au regard de l’épreuve qu’ils avaient enduré, ils furent graciés par le roi.

La justice anglaise voulut cependant aller jusqu’au bout de ce qu’elle avait entrepris quelques années plus tôt en affrétant le HMS Pandora : dans l’aube humide de ce 28 octobre 1792, trois mutins, Burkett, Ellison et Millward furent pendus à une vergue du vaisseau HMS Brunswick, dans le port de Portsmouth.

Il fallut attendre 1808 pour enfin connaître le sort de Fletcher Christian et de la Bounty.

« Bligh-replique-bounty » : Réplique du HMS Bounty, construit en 1961 pour les besoins du film de la MGM, Les Révoltés du Bounty, avec Marlon Brando.


La mutinerie de la Bounty fut rendue célèbre les deux romanciers, James Norman Hall et Charles Nordhoff, avec leur livre “Les Mutinés de la Bounty” (1932), qui fut tôt adapté et mis en scène au cinéma, apportant à leur réalisation et aux acteurs incarnant ces fameux révoltés du Bounty, notamment Fletcher Christian, incarné par Errol Flynn (1933), Clark Gable (1935), Marlon Brando (1962) ou, le dernier en date, Mel Gibson (1984).





Instantane



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