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Manuarii Guilbeaud, diamant brut de la danse

Le parcours de Manuarii Guilbeaud est celui d’un jeune talent plein de promesses. De Tahiti, il se forme en France pour devenir danseur interprète.

 

© Texte : Valentine Livine


J’ai l’impression d’être sur mon chemin, d’aller dans la bonne direction, car c’est là où je me voyais quand je me projetais dans l’avenir, confie le jeune homme de fraîchement 18 ans.

Manuarii est un diamant brut de la danse. Il a besoin d’apprendre encore, de se perfectionner avant de vivre de sa passion. Bien que ses choix le conduisent sur des sentiers inhabituels, le jeune homme a réussi un petit exploit dans l’univers de la danse : obtenir une bourse pour une année d’études à la Alvin Ailey Dance School, un ticket d’entrée rare à décrocher, ainsi qu’une bourse d’études à la European School of Ballet située à Amsterdam. Il faut dire que Manuarii a du potentiel, potentiel que tous ses professeurs ont décelé jusque-là.


© Nicolas HIRIGOYEN - Le métissage de Manuarii Guilbeaud se retrouve jusque dans ses iris aux couleurs de la Polynésie et de la France.


Un diamant brut

Manuarii Guilbeaud commence la danse simplement pour essayer, comme ça, car ses parents lui cherchent une activité physique à pratiquer. Lorsque sa belle-mère, directrice du Centre de danse Vanessa Roche, lui propose le hip-hop, il se laisse tenter, car il aime la scène, sans pouvoir l’expliquer.

Manuarii a 8 ans lorsqu’il fait ses premiers pas dans un studio de danse. J’ai pleuré après le premier cours. Je me souviens que ça me semblait tellement difficile : la coordination, le rythme, la mémorisation. Moi, je voulais réussir tout de suite car, déjà enfant, j’étais perfectionniste. Ça m’a angoissé de ne pas y arriver immédiatement et provoqué une grande émotion !

Mais il s’accroche, apprend et se découvre une passion naissante pour la discipline. De ses 8 à 14 ans, Manuarii élargit son intérêt pour la danse. J’ai eu du mal au début, car je n’aurais pas été vers le jazz et le classique de moi-même. J’avais des préjugés et pensais que c’était pour les filles, mais Vanessa (Roche) a insisté. Finalement, elle a eu raison : j’ai tellement appris et cela m’ouvre aujourd’hui des portes auxquelles je n’aurais pas frappé, raconte le jeune danseur.


Rencontrer ses ombres…

Manuarii obtient une bourse pour une année d’études (logement compris) à la Alvin Ailey Dance School de New York. C’est en décembre que le jeune homme voit cette porte prestigieuse et rare s’ouvrir. Même s’il est enchanté d’y aller et de concrétiser un rêve, il sent un blocage en lui. Mais New York, ça ne se refuse pas, non ?

Après des vacances à Tahiti pour passer Noël avec sa famille, il retrouve Reims et l’Académie des sacres dans laquelle il se forme. C’est alors qu’une rencontre change la donne, mettant New York entre parenthèses. Après des hésitations, Manuarii choisit de privilégier sa relation au détriment de New York. Cela peut sembler totalement aberrant et apparaître comme du gâchis, mais c’est pour mieux sombrer et rencontrer ses parts les plus sombres.

Avec l’admission à New York, je me suis cru arrivé. Je ne me suis pas rendu compte que mon attitude avait changé, pouvant être perçue comme arrogante, que j’étais irrité par les règles. C’était pourtant le cas, ce qui m’a valu d’être convoqué par la directrice de l’académie. Pour moi, qui ne voyais pas le problème à ce moment-là, c’était une injustice.

Lorsqu’il refuse New York, Manuarii a un projet : celui d’intégrer l’Opéra national de Paris. Il auditionne et… n’est pas pris. Lui qui se pensait au-dessus se prend une énorme claque.

Je me suis retrouvé sans rien d’un coup ! Le refus de Paris a été un choc immense pour moi, confie le jeune danseur. Lorsqu’une leçon d’humilité s’impose, l’univers se charge toujours de mettre un caillou sur notre chemin qui nous fera trébucher. Alors à terre, nous sommes enfin capable de changer d’angle de vue… pour notre plus grand bien. Manuarii Guilbeaud lâche tout pour se réfugier chez sa grand-mère. Là, il se calme, se recentre, prend du recul et comprend ses erreurs. J’ai accepté ma défaite, reconnu que j’avais été présomptueux et arrogant et j’ai également fait le point sur la direction que je veux prendre dans le monde de la danse. L’occasion pour lui de se pencher sur son parcours de danseur jusque-là.


Au Centre de danse Vanessa Roche, Manuarii a pu s’initier à différents styles de danse : classique, contemporain, hip-hop, jazz…

 

L’entre-deux français

Manuarii est parti en France se former il y a presque 4 ans. À 14 ans, il intègre Le Pôle national supérieur de danse Rosella Hightower, à Cannes. J’ai senti un soulagement à l’aéroport. Je n’étais pas triste, au contraire, j’étais très heureux de partir, de gagner en autonomie, raconte Manuarii Guilbeaud. Pourtant, je n’étais pas emballé à l’idée d’aller à Cannes ; je me suis laissé convaincre que c’était le bon endroit pour moi mais, au fond de moi, il y avait une résistance. Arrivé dans la ville, le jeune garçon comprend sa réticence.

Cannes. Manuarii subit cette ville pendant un an et demi. Comme il n’est pas heureux d’y être, il exprime sa frustration, sa tristesse et sa colère d’être là où il ne veut pas en adoptant un comportement préoccupant. Mon père est venu en urgence dès la première année pour me recentrer, à tous les niveaux. Ça m’a fait du bien, mais j’étais toujours mal, car je ne trouvais pas ma place, me faisant peu d’amis. En plus, à l’internat, le courant ne passait pas avec le garçon qui partageait ma chambre. Nous avons atteint le point où nous avons dû être séparés et nous voir attribué un nouveau coloc. Manuarii sèche les cours, provoque, ne respecte pas le règlement intérieur. Il sait qu’il peut revenir à Tahiti si vraiment ce n’est pas le bon endroit pour lui, et peut-être qu’il l’aurait fait… mais il y a eu Nell.


En France, le jeune danseur s’est formé au Pôle national supérieur de danse Rosella Hightower, à Cannes, puis à Reims, à l’Académie des sacres.

 

L’amour qui structure

Je n’avais pas confiance en moi, me sentant nul, moche, stupide. J’avais de l’acné, j’étais dans la classe des danseurs plus jeunes que moi, car je n’avais pas le niveau en classique, mon coloc me traitait comme un imbécile sorti de nulle part… et elle est arrivée, m’a regardé, a vu à l’intérieur de moi. Ça a tout changé pour moi… confie Manuarii.

Comme lui, Nell est élève au Pôle national supérieur de danse Rosella Hightower. Ils se comprennent, se soutiennent, grandissent ensemble.

Elle m’a donné confiance en moi. J’ai beaucoup appris à ses côtés même si l’inexpérience et le manque de communication ont pourri notre relation. Nous nous sommes fait beaucoup de bien, et aussi beaucoup de mal. Au bout du compte, j’ai appris que la communication est une des clés de toute relation.

À partir de là, Manuarii change du tout au tout. Il se met au travail, enfin ! Le potentiel décelé en lui par ses professeurs éclôt au grand jour, il auditionne pour une autre école.


© Nicolas HIRIGOYEN - À mesure que j’avance dans la danse, je découvre que ça me plaît plus que ce que je pouvais l’imaginer.


Les portes s’ouvrent

Les auditions, si elles se ressemblent dans la forme, s’avèrent différentes dans le fond. Pour la première, à Cannes, j’étais très stressé et je voulais absolument prouver que je pouvais être au niveau en classique, malgré seulement un an dans la discipline, raconte le danseur.

Pour Reims, j’étais confiant, car ils m’avaient vu danser, donc je me sentais bien, avec l’envie d’entrer à l’Académie des sacres, même si le résultat est toujours subjectif en fin de compte. La dernière, pour Alvin Ailey, était plus stressante. Je pensais ne pas être prêt techniquement. Alors, je n’étais sûr de rien !

Manuarii Guilbeaud entre à l’Académie des sacres, à Reims, en 2022. Cette école, sous la direction artistique de Marie-Agnès Gillot, danseuse étoile de l’Opéra national de Paris, propose deux formations : professorat de danse et danseur-interprète. Manuarii, voulant être danseur professionnel, choisit la seconde.

Je suis en colocation avec des étudiants en commerce et psychologie, ce qui me change d’univers. Je m’ouvre au monde et à la vie d’une façon plus spontanée qu’à Cannes. Je suis heureux de cette transition à Reims, même si j’ai hâte de passer à autre chose. J’apprends à gérer mes finances aussi… Pour l’instant, j’ai un peu de mal ! avoue en riant Manuarii.

Le jeune talent retrouve l’ambiance cocooning du Centre de danse Vanessa Roche dans la déjà prestigieuse Académie des sacres, ce qui lui permet de se sentir valorisé et plus en sécurité.

 

Être plutôt que faire

À 14 ans, je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie. Aujourd’hui je sais, mais je sais surtout qui je veux être ! raconte Manuarii Guilbeaud. Je me construis grâce à la danse, je me sens de plus en plus à l’aise. À mesure que j’avance dans la danse, je découvre que ça me plaît plus que ce que je pouvais l’imaginer !

Lorsqu’il danse, Manuarii peut expérimenter des instants de grâce : à en avoir des frissons et les larmes aux yeux ! dit-il.

Comme cette fois où, avec un ami, nous faisions du free-style dans la cour d’un immeuble. Je me suis lâché, je n’ai plus rien cherché à contrôler et là, c’est arrivé : cette perte de repères spatio-temporels. Je me suis senti voler, je ne savais plus ce que je faisais avec mon corps, j’étais en dehors de la réalité matérielle pendant quelques secondes. Puis je suis revenu, conscient de ce qui s’était passé. J’aime danser pour vivre et ressentir cela, ces moments en or.


Si Manuarii laisse parler son être lorsqu’il danse, il est encore en apprentissage pour être pleinement lui-même dans les instants de tous les jours. Et si des portes qui s’étaient ouvertes se sont refermées, c’est pour aller dans une nouvelle direction.


© Nicolas HIRIGOYEN - Manuarii a commencé la danse grâce au hip-hop et, bien qu’il ne le pratique plus dans ses formations, il y reste attaché, aimant la grande liberté qu’offre cette discipline.


Destination danseur professionnel avant de…

Je sais enfin ce que je veux faire dans le monde de la danse. Maintenant, plus rien ne peut me stopper, j’ai un objectif clair que je veux atteindre.

L’introspection a été fructueuse. Si Manuarii a compris qu’il est son pire ennemi, s’autosabotant, il est désormais prêt à relever le [VP1] défi qu’il s’est fixé, car il se sent certain de son choix. Mais, pour l’heure, il a besoin de se former, d’acquérir de l’expérience en tant que danseur. En mai, après s’être recentré, il prend le bus pour les Pays-Bas. À Amsterdam, il effectue un stage à la European School of Ballet (ESB). Sous la direction de Jean-Yves Esquerre, l’ESB est un centre dédié à la formation des jeunes danseurs et des préprofessionnels, offrant une ouverture à l’international par la diversité des compagnies auxquelles elle donne accès.

Le jeune homme compte bien profiter de cette opportunité incroyable pour saisir sa chance de danser en tant que professionnel. La carrière d’un danseur est courte, nous dit-il, aussi, pas de temps à perdre… Je veux acquérir de l’expérience, rencontrer des chorégraphes de tous horizons, car je souhaite en devenir un.



…chorégraphier

Chorégraphe, voici donc l’objectif de Manuarii : pour imprimer son style, créer, partager son univers et, pourquoi pas, monter une compagnie.

Le jeune homme se détache progressivement des attentes, du regard et du jugement des autres pour aller vers l’expression authentique de son être. Le chemin est encore long, certes, il sait qu’il doit se discipliner, rester concentré et gérer des comportements parfois destructeurs.

Je suis décidé. Tout reste à faire, mais avoir ce but, cette direction, me redonne confiance.

Il va lui en falloir, de la discipline, car l’ESB a des règles strictes auxquelles nul élève ne peut déroger. Amsterdam, c’est un peu la dernière chance pour Manuarii, aussi il est prêt à travailler sur lui-même. Cette porte qui s’ouvre, en dépit de toutes celles qu’il a fermées, est certainement la clé de son avenir de danseur et chorégraphe. De Tahiti aux Pays-Bas, il a tantôt hésité, chancelé, reculé, cassé, tantôt progressé, brillé. Une pulsion l’a poussé en avant : si tu as envie de faire un truc, fais-le ! Peu importe ce qu’en disent les autres car, si cela est conforme à la voix de ton intuition, c’est que c’est bon pour toi.

Manuarii Guilbeaud va pouvoir se révéler à lui-même, totalement. Ce diamant brut de la danse est fier de son parcours singulier, aussi tortueux soit-il. Chaque rencontre, chaque moment l’ont conduit là où il se trouve aujourd’hui, lui apprenant à devenir un homme.

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