top of page

Les maite, pour une culture autonome aux Tuamotu

MAITE. Ça pourrait être M comme manger, A comme autonomie, I comme indigène, T comme Tuamotu, E comme expérience. Un système préeuropéen, importé sans doute dès les premières migrations longtemps oublié, ingénieux, nourricier. Le maite est une méthode d’autonomie alimentaire idéale, parfaitement adaptée au sol corallien. L’équipe de la Direction de l’agriculture expérimente deux projets pilotes à Rangiroa.


© Texte et photos : Doris Ramseyer




 

C’est quoi, un maite  ?

Un creux, une cavité, une bouche creusée dans le sol corallien. C’est aujourd’hui l’œuvre de la DAG (Direction de l’agriculture), dans un projet passionnant de création et de réhabilitation, en s’inspirant des fosses à culture ancestrales aux Tuamotu pour faire pousser des tubercules.


 

La tradition s’était perdue, avec l’arrivée des missionnaires, puis, au XXe siècle, des bateaux remplis d’aliments transformés. Les maite sont peu à peu tombés en désuétude tandis que les mentalités changeaient et que la dépendance rampante grignotait les atolls.


Le Pays, au travers de la DAG, souhaite aujourd’hui revaloriser les maite car ce système est simple, intelligent, et rudement efficace, rendant la survie alimentaire sur les atolls possible. C’est aussi une source de production saine, comme elle l’était auparavant. « On pense qu’il faut retourner aux sources, sans tout bouleverser, mais pour un apport alimentaire équilibré », note William Ellacott, chef de la subdivision des Tuamotu-Gambier depuis 2019. « Mais comme un Pa’umotu ne croit que ce qu’il voit, explique William, il faut que cette nouvelle réalité soit visible et tangible ».


Vingt minutes de bateau à partir de Tiputa pour arriver au secteur. Lagon turquoise, splendide, paradisiaque. Un cadre de rêve pour travailler. C’est ici qu’est établie la maison d’hôtes Bliss. Le maite pilote est à l’échelle de la pension, pour expérimenter la survie alimentaire. L’idée, c’est de disséminer des maite dans toutes les Tuamotu, surtout dans les lieux excentrés, pour que les gens qui se rendent au secteur puissent s’alimenter sans avoir forcément à revenir au village et encore moins à recourir aux produits importés. Le système est idéal pour l’autonomie des pensions éloignées. Le développement touristique  passera par là. William précise : « c’est depuis la covid qu’on a parlé d’autonomie alimentaire. C’est un devoir de faire en sorte que cela soit possible aux Tuamotu ».



Création d'un maite pilote proche de la pension Bliss à Rangiroa


Couche fertile et lentille d’eau

Sous la surface corallienne où poussent les arbres, il existe une couche naturellement fertile, formée grâce à la décomposition des feuillages. Quand les racines des arbres s’ancrent plus profondément, ils percent ce lit fertile, mais ne trouvent rien de nourricier. Alors les racines restent  à la surface. Le but de l’équipe de la DAG est de copier la nature. Réaliser une couche fertile, mais plus épaisse, et plus riche. C’est rare, mais à Tureia, nous avons observé deux couches superposées ! explique Raureva, l’adjointe de William. Nous avons découvert qu’à l'époque, il y avait là un ancien village.


Son seul vestige réside en cette strate fertile et souterraine. Quand l’agriculture mène à l’archéologie…


Nukutavake représente un site particulier de réhabilitation des maite, avec plusieurs grandes structures dans le village qui mesurent plus de 100 mètres sur 10, et jusqu’à 6 mètres de profondeur. Au secteur de Pukarua, un ancien maite renferme une magnifique matière organique d’une richesse incroyable, car elle est alimentée de fientes d’oiseaux. Sur ce type de lieux, la population vient chercher la terre dont elle a besoin pour enrichir son fa’a’apu.


Chaque maite est unique, diffère en longueur, en largeur et en coupe. À chaque lieu, aussi, sa particularité : zones plus caillouteuses ou plus sablonneuses, couche fertile plus ou moins épaisse, pāpā (couche qui couvre la lentille d’eau) plus ou moins profond. Quand l’équipe de la DAG crée ou réhabilite un maite, elle préserve le pāpā. Raureva précise : il est primordial de protéger la lentille d’eau douce. La géographie des atolls, c’est comme une cuve, où l’eau descend au fur et à mesure qu’on la prélève. Il faut du temps pour qu’elle se régénère. L’eau de pluie arrive par ruissellement, puis reste à la surface, car elle est plus légère que l’eau de mer. En cas de débordement, il y a reflux vers la mer. Si nous perçons le pāpā, nous mettrons en place des systèmes de montée d’eau par capillarité, selon les besoins des végétaux, complète Raureva.



Compost réalisé avec de la bourre de coco et des déchets verts broyés


Comment se construit un maite ?

La pelle d’un Pel Job  creuse le sol corallien, et finit par rencontrer une couche de corail très dure, le pāpā. Cette strate est préservée, et l’eau irrigue déjà le fond de l’excavation. Dans ce trou est déposé un mélange végétal, le compostage qui va accueillir et faire croître les plantations. De la bourre de coco d’abord, utilisée pour sa capillarité, sa propension à retenir l’eau. S’y rajoutent des déchets verts broyés, pour l’instant, surtout constitués de tōhonu, un activateur de la décomposition. Le tout est mouillé avec du jus de poisson (constitué de déchets de poissons), remué, mélangé, et recouvert d’une bâche pour une montée en température, afin d’accélérer le processus tout en éliminant les bactéries pathogènes. Et dans deux ou trois mois, il sera temps de vérifier le résultat. Cette belle terre nouvellement formée glissera entre les mains, fertile à souhait pour planter.


Maite de Mahitu au secteur : une fosse à culture inspirée des cultures traditionnelles pa’umotu. . Le tōhonu fait partie des plantes qui vont se décomposer et enrichir le maite


Plus tard, le maite fonctionnera de manière autonome. Les tubercules au sous-sol, le maraîchage à la surface, et au-dessus, les arbres plantés dans des travées le long du maite. Les arbres, tels le citronnier, perdent feuilles et fleurs, voire leurs fruits, qui se décomposent et créent naturellement de la matière organique qui enrichit la terre. L’humidité vient d’en bas, par capillarité, fluctuant au gré des marées qui influent sur le niveau de la lentille d’eau. Les pluies assurent un complément pour arroser les plantes, dont la composition diffère de l’eau souterraine. Raureva note : « C’est vraiment le cycle de la vie, un système autonome qui se nourrit de lui-même. Il n’y aura plus d’apport de notre part. Une fois les tubercules et les légumes récoltés, on replante des semis, et ça repart. Tout seul. »


« Les anciens creusaient avec des coquilles de pārau (nacre), ou de pāhua (bénitier) pendant trois mois ; ils obtenaient un maite de 30 m² seulement ! » explique William.

 Le maite de la pension Bliss a débuté hier, quelques heures de travail suffisent pour atteindre la lentille d’eau douce. « Nous utilisons le savoir des anciens, qui étaient experts dans leur domaine », note William. La DAG rajoute de la modernité en introduisant du maraîchage sur les tubercules, en creusant le sol et en broyant les végétaux avec des engins mécaniques.



« Dans ce projet, nous ne devons pas utiliser de la matière organique importée, mais uniquement les végétaux disponibles sur place pour faire du compost. C'est aussi un défi pour la DAG, et ça nous passionne ! Ainsi, nous pourrons démontrer qu’il n’est pas nécessaire d’importer ce composant de Tahiti, et que créer de la terre, c’est possible ! » expose William. Il poursuit : « A Tikehau, nous avons conçu un grand maite, qui est déjà productif, avec des patates douces, de l’igname, du taro, des papayers. C'était le premier. Celui de la pension Bliss est le deuxième. À Mahitu, nous avons créé le troisième ». Nous partons le visiter. Quinze minutes de bateau jusqu’à la cocoteraie ; plages immaculées, rangées de palmiers qui défilent.





Site d’expérimentation

Cet autre maite à Mahitu se révèle plus vaste, plus sablonneux, plus abouti que celui qui vient d’émerger à la pension Bliss, et le niveau d’eau naturel s’avère aussi beaucoup plus haut, présent à 50 cm de la surface déjà. Plus loin dans la cocoteraie, la DAG a créé du compost, avec de la bourre de coco et des déchets verts broyés. Broyer la matière évite de la brûler, conserve ses vertus, et réduit de moitié le temps de décomposition. La terre obtenue est belle, riche, elle vaut de l’or ici. Plusieurs broyeurs ont été dispersés par la DAG dans l’ensemble des Tuamotu.



Expérimentation autour des cocotiers pour nourrir la terre où ils poussent


Ce motu est aussi un site pilote d’expérimentation de la DAG pour la réhabilitation d’une cocoteraie. Il y a des tests pour nourrir la terre autour des cocotiers. Des travées plus loin contiennent de la matière organique sèche à base de palmes, qui active naturellement la germination des cocos. Côté océan, sept variétés de lianes ont été plantées pour ensuite alimenter du compost, enrichir le sol et nourrir les cocotiers. Car les cocos font aussi partie de la sécurité alimentaire, précise Raureva. Ils peuvent être utilisés tels quels, ou transformés. Les Tuamotu représentent une véritable niche avec toutes ces richesses. Nous revenons vers la plage, étincelante, léchée d’eau cristalline. Une mission dans un paysage de rêve.





Les trois délégués de la Direction de l’agriculture avancent au même rythme, partagent un enthousiasme et une manière de penser similaire. Ils assurent diverses missions agricoles, dont la réintroduction des maite aux Tuamotu et Gambier. William, Raureva, et Bruno font partie d’une cellule autonome qui se déplace avec efficacité sur le terrain, produisant des actions immédiates. Leur adaptation à l’environnement des atolls est évidente.






Vous souhaitez en savoir plus ?

Dossier à retrouver dans votre magazine Tama'a# 28 - juin 2023 

bottom of page