top of page

Les IAA attaquent

Entre désinformation, ignorance, saturation & mauvaise foi


Qui connaît Daniel Benamouzig ?

C’est un sociologue français, rattaché au Centre de sociologie des organisations à Science Po, à qui le Ministre français de la Santé a commandé un rapport peu commun, intitulé : Cartographie des activités politiques des acteurs du secteur agroalimentaire en France. Un pavé dans la mare, qui met en lumière ô combien les lobbys industriels de l’alimentation oeuvrent en coulisse pour masquer les dommages de leurs produits, à tous les étages.



Dévelopement

1954. Le secteur du lait est au plus mal en France : surproduction, peu de débouchés. Quelques coups de téléphone et dîners plus tard, le Président du Conseil (équivalent au premier ministre actuel) Pierre Mendès-France imposait à chaque enfant du primaire (CEP à CM2, de la 11e à la 7e pour les plus anciens) un verre de lait quotidien. Dans les années 1980, la mesure était toujours en vigueur !


2008. Roseline Bachelot propose un projet de loi interdisant la publicité des produits trop sucrés, trop salés et trop gras, juste dans les programmes télévisés pour enfants. Le CEDUS (Centre d’études et de documentation du sucre, financé par le lobby du secteur sucrier, aujourd’hui Cultures Sucre) intervint alors en remettant en cause l’approche scientifique qui qualifiait le caractère addictif du sucre. La ministre dut faire marche arrière.

Comprenez-le, ces cas typiques d’influence consistent « à mettre en forme un problème selon trois modes d’action distincts :

  • la fabrication de l’ignorance

  • la production du doute

  • le recadrage du problème et des solutions », explique Daniel Benamouzig, directeur de recherche au CNRS et expert en santé publique. Jusqu’au dénigrement voire au procès contre les scientifiques qui « pensent mal » ? Bien entendu.

Fabriquer de l’ignorance

(« produire ou diffuser des savoirs scientifiques, arguments techniques, économiques, légaux, philosophiques ou moraux visant à nuance, affaiblir ou invalider les savoirs scientifiques et arguments utilisés pour justifier un projet de politique publique non souhaité par les acteurs économiques ») passe par le financement de la recherche et par ses propres instituts de recherche. Les géants Nestlé, Danone, Mondelez, etc. financent les activités de recherche, voire même l’enseignement supérieur, où ils imposent les thèmes de recherche définis par eux. Ainsi, en 2020, Danone a-t-il signé un partenariat avec AgroParisTech, via son institut de recherche (bien sûr cher lecteur, un institut est plus classe qu’un lobbyiste, même si la finalité est la même), Danone Nutricia Research, pour mettre en place la chaire Alimentation nutrition comportement alimentaire (ANCA). Une chaire spécialisée dans les questions « d’alimentation saine et durable », ce qui permet à Danone de participer à la définition de ce concept. « Ce qui est bon pour votre santé ? Danone vous le dira ! » (Daniel Benamouzig).


Saturer l’opinion afin qu’elle ne s’y retrouve pas.

Sous des acronymes qui font tous plus sérieux les uns que les autres, FFAS (Fonds français alimentation santé), CIV (Centre d’information des viandes), CS (Cultures sucre, ex CEDUS), CERIN (Centre de rencherche et d’information nutritionnelles de l’interprofession laitière), OCHA (Observatoire CNIEL sur les habitudes alimentaires), etc., les industriels de l’agro alimentaire inondent internet et les rayonnages des librairies en études diverses, saturent certains domaines d’expertise, au point que vous ne trouvez plus les vraies études, en tout cas des études contradictoires, justement sur l’alimentation qui fâche : sel, gras, sucre, régime Vegan, etc.). Ils pratiquent aussi le cherry pick data : la mise en avant des études les plus favorables, même s’il ne faut les utiliser que partiellement (et qui sont, parfois, financées discrètement par les entreprises concernées elles-mêmes, pourquoi se gêner ?). Ensuite, via leurs réseaux d’influence, (think tank, blogs, influençeurs, etc.), ils inonderont le bon peuple qui croira bénéficier d’une information solide. De ce fait, au bar du coin, sur les étiquettes des produits que vous achetez, dans les pubs de la télé, vous pourrez entendre, voir ou lire des énormités sans être plus sûr de rien. Cela s’appelle de la désinformation masquée. Un exemple ?



2015 : un article du New York Times de 2015 « dévastateur pour la réputation de la multinationale » que Coca Cola est impliqué dans la coordination et le financement du Global Energy Balance network. Le crédo de cet institut qui travaille soi-disant à trouver une solution à l’épidémie mondiale d’obésité ? « Faites plus d’exercice, sans trop vous préoccuper de réduire vos apports en calories ». « Weird », devaient penser les Américains. « Moi, j’ai dit bizarre ? Comme c’est bizarre… », soliloquait Louis Jouvet. Or, en mai 2019, après un long travail d’enquête, le journal Le Monde révèle la bizarrerie au grand jour : l’institut est du marketing maquillé en recherches scientifiques. Un institut purement lucratif qui a rémunéré des professionnels de santé, des projets de recherches, évènements, colloques ou associations médicales et sportives pour qu’ils gardent le silence sur les effets du Coca-Cola sur la santé.



Le Monde a révélé, suite à la publication dans le Journal of Public Health Policy, une revue spécialisée en santé publique, d’une étude académique explosive, que la firme a dépensé des millions d’euros entre 2010 et 2016 pour faire croire que ses boissons sont sans danger. « Explosive car l’étude raconte, preuves à l’appui, que contrairement à ses engagements publics, la multinationale du soda se réserve le droit d’empêcher la publication de tout résultat qui lui déplairait. » (Le Monde, 8 mai 2019)


En France, plus de 8 millions d’euros auraient été versés pour orienter les recherches scientifiques. Par exemple ? 653 798 euros versés à CreaBio pour un « projet de recherche sur les édulcorants intenses ». Cette étude, publiée en 2018, affirme qu’il n’y a pas de différence entre l’eau et les boissons avec des « édulcorants basses calories » en matière d’effets sur « l’appétit, l’apport énergétique et les choix alimentaires ».


En mars 2019, une étude réalisée aux États-Unis met encore à mal la célèbre boisson. Cette étude montre que la consommation régulière de sodas provoque un risque énorme de décès précoce, surtout chez les femmes. Tahiti abrite un taux parmi les plus élevé au monde d’individus malades d’obésité morbide. Mais ils peuvent continuer à boire des sodas : il suffit de les mettre au sport .


Retrouvez avec ce lien les sommes versées aux institutions (sportives, aides aux diabétiques…, nutritionnistes, pour qu’ils mentent ou masquent une partie de la vérité)



Occuper le débat

Les lobbys de l’IAA (industrie agro-alimentaire) se sentent menacés par une étude ou une révélation compromettante ? Ils vont lâcher sur le coupable leurs propres scientifiques, qui travailleront en 4 temps :

  • Décortiquer l’étude, en trouver les défauts s’il y en a (et il y en a toujours : des angles morts, des formes de choix méthodologiques qui limitent une partie de la recherche, etc.) et la discréditer

  • Recadrer le débat sur la liberté individuelle (ainsi en 2014, les IAA partirent en guerre contre la politique de prévention du gouvernement sous le slogan « Laissez-nous manger tranquille ! » En sens inverse, ils ne supportent pas qu’on les accuse de nous empoisonner à petit feu et attaquent toute personne qui irait trop loin à leur goût.

  • S’ils n’ont pas pu discréditer l’étude ellemême, ils vont alors s’attaquer à son auteur pour tout un tas de motifs (liens d’intérêt supposés, taxé d’obsessionnel, doute sur son intégrité morale ou scientifique), s’il le faut le poursuivre en justice jusqu’à l’épuiser, financièrement ou moralement. Peu tiennent jusqu’au bout de ces procédures diffamantes, soutenues par des avocats sans scrupules, sinon l’épaisseur de leur porte-monnaie (et dont pas un ne fera consommer à ses enfants aucun des produits qu’il défend…).

  • Enfin, ils font partie de toutes les institutions françaises censées nous protéger, y compris en Polynésie, de bon nombre de produits mauvais pour la santé. Ainsi l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, le Conseil national de l’alimentation, et bien sûr l’Assemblée nationale, sont-ils infiltrés par tous les groupes de pression des IAA. Une loi doit être votée pour nous protéger contre leurs abus ? Vous aurez 200 amendements déposés, merci les lobbys et surtout merci aux parlementaires qui s’en font les porte-paroles ! (pour ces derniers, n’oubliez pas vous pouvez les sanctionner légalement : par votre vote.)


Occuper la sphère publique par le marketing

Enfin, avez-vous déjà regarder votre environnement ? Pas la peine d’aller à Paris ou à Lyon, juste à Tahiti : panneaux 4x3, partout sur l’île, vantant le côté jeune ou branché de tel ou tel soda, l’aspect sportif ou énergétique de tel ou tel goûter, telle ou telle boisson… Mais cela est plus profond. Pas un club sportif, pas un va’a, pas une compétition, qui ne soit affublé du logo d’un géant de l’agroalimentaire ou d’un de ses produits.


Impossible de se sortir de cette spirale infernale ? Mais bien sûr que si, avec la même énergie et la même volonté qu’il faut pour arrêter de fumer ou moins boure d’alcool (puisqu’il s’agit d’addiction, cette fois au sel, au sucre, au gras : n’achetez plus ces produits qui vous font du mal.


Mangez local, frais, non transformé, régalez-vous des produits du fenua, honorez-vous d’encourager la production locale. Au bout d’un mois, vous aurez purement et simplement oublié le goût des soda, gâteau, pâté, céréales, etc. qui vous paraissaient si essentiels.





Cet article est rédigé par Alix Baer, suite à un formidable dossier exclusif publié par le magazine WE Demain, réalisé par Gilles Luneau, à qui revient la paternité des principales données de notre article.











Vous souhaitez en savoir plus ?

Dossier à retrouver dans votre magazine InstanTANE #12 - septembre 2021


bottom of page