La culture polynésienne entretient un lien au divin omniprésent, comme c’était le cas en Europe jusqu’au XVIIIe siècle, ou chez les peuples premiers d’Amérique du Nord. Ce lien se retrouve partout, même là où l’on ne pense pas le trouver, comme dans le taurumi, que l’on traduit trop rapidement par “massage”.
© Photos : Valentine Livine
Enveloppé par les mains et le monoï, le massé laisse aller toutes les tensions, aussi bien physiques qu’émotionnelles. © Crédit photos Doris D. photographe
Soin du corps et de l’âme
Le taurumi est un cadeau.
C’est un moment de douceur qui répond aux besoins du corps, de l’esprit et de l’âme. En profonde communion avec le massé, la personne qui taurumi (employé ici en tant que verbe, NDLR) l’enveloppe de ses mains et de mono’i, lui offrant un espace d’abandon où lâcher les frictions internes, les nœuds énergétiques et émotionnels. Tau veut dire “temps”, rumi signifie “enveloppement”. Nous sommes ici loin du massage appuyé qui s’est vu qualifié de taurumi ces dernières années, désincarnant l’original au profit d’une communication attractive et d’un effet de mode.
L’art du taurumi polynésien est un soin au corps et à l’âme, un lien sacré entre le masseur et le massé, un instant de bien-être et d’abandon.
L’esprit du taurumi se retrouve dans ce tableau de l’artiste Vai : l’enveloppement, le soin, l’amour et la douceur du taurumi.
Les sens en éveil
Lors d’un taurumi, les sens se trouvent sollicités : le toucher par le contact des mains sur le corps, l’ouïe par le souffle du praticien et le bruit du glissement sur la peau, l’odorat par la senteur envoûtante du mono’i…
Cela imprime d’ailleurs des souvenirs heureux et indélébiles que les anciens se remémorent avec nostalgie.
J’utilise un mono’i traditionnel fabriqué par un papi de Papara. Cela me replonge directement dans mon enfance, nous raconte Vaitea Tauraa, qui pratique le taurumi professionnellement sous le nom de Vaitea Taurumi.
Vaitea a besoin de la nature pour se ressourcer et puiser l’essence du taurumi.
Vaitea Tauraa vit le taurumi de toute son âme, de tout son être. Elle est fière et heureuse de perpétuer cette pratique ancestrale et culturelle.
Douceur, écoute, libération
Le taurumi est pratiqué avec force et pressions depuis plusieurs années par certains massothérapeutes. Moi, je le pratique tel que je l’ai reçu, tel que je le ressens : avec douceur et écoute de l’autre pour l’emmener vers une libération de ce qui est bloqué en lui, que ce soit une émotion, une douleur… Lorsque je taurumi des māmā (grands-mères) et qu’elles me remercient, les larmes aux yeux, me disant que c’est ainsi que faisaient leurs propres grands-mères, je suis moi aussi émue aux larmes, pleine de gratitude et confortée dans mon intuition, confie Vaitea.
Ressentir l’appel
Tout le monde peut masser, mais le taurumi nécessite quelque chose en plus. C’est un outil unique de guérison pour qui conduit bien la séance de soin. D’ailleurs, les Polynésiens ne s’y trompent pas, adressant leurs proches à un masseur “spécial”, un qui aura ressenti l’appel du taurumi et aura le mana (l’efficacité, la bonne énergie). C’est le cas de Vaitea : lorsque ma mère est tombée malade du covid, je l’ai taurumi tous les jours, ainsi que des fēti (membre de la famille).
J’ai vu que mes soins étaient efficaces, soulageant le physique, mais aussi l’âme. Au bout de 5 semaines intensives, j’ai senti un appel : celui du taurumi.
Je savais que je voulais véritablement lui dédier ma vie, mais j’hésitais car ce don, nous (les Polynésiens) le mettons habituellement au service des autres gratuitement. J’avais des scrupules à en vivre. C’est ma mère qui m’a convaincue : “Haere (Va ! NDLR) taurumi”, m’a-t-elle dit !
Transmission familiale
Traditionnellement, l’art du taurumi se transmet dans les familles. Les femmes réchauffent leurs mains enduites de mono’i, puis massent le bébé qui est mal pour l’apaiser, les enfants pour favoriser un bon sommeil, les aînés pour soulager leur corps endolori… Vaitea Tauraa raconte : J’ai appris par intégration : ma grand-mère me massait depuis bébé. Dès que j’ai pu taurumi, je l’ai massée en retour. C’était un moment de partage, naturel et aimant.
Si les mères peuvent masser leurs enfants, c’est en général plutôt les grands-mères qui taurumi leurs mo’otua (petits-enfants). Les gestes ancestraux, l’amour et la tendresse que requiert le taurumi sont une transmission familiale, un héritage émouvant et réconfortant.
Pratique spirituelle
Le taurumi est une pratique spirituelle qui relie le praticien à ses tupuna (ancêtres), à son dieu ou à la « source de vie », à la personne qui le reçoit. C’est un moment de connexion profonde et émouvant. Je sers de canal, ce qui prend du sens avec la signification de mon prénom, s’amuse Vaitea. Vai veut dire “source”, tea signifie “pur”. C’est exactement comme cela que je me positionne lorsque je taurumi : comme un canal pur dont l’intention sincère est d’apporter un soulagement à la personne.
Vaitea et les autres massothérapeutes prodiguant le taurumi en conscience entrent en lien avec plus grand qu’eux, redonnant à ce soin son caractère sacré et spirituel. Il n’est pas qu’un massage, il est un outil de libération et de circulation de l’énergie à l’intérieur de l’être, il apaise l’esprit, aligne l’âme.
Le taurumi est un véritable soin de l’âme.
Le taurumi est un moment de communion profonde.
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