À l’heure où la transition énergétique est devenue un enjeu économique et écologique majeur pour les gouvernements du monde entier et alors même que la Polynésie française n’échappe pas à cette gageure, la petite hydroélectricité pourrait se révéler une solution de premier choix. Une solution qui a déjà fait ses preuves et que plébiscite notamment Yann Wolff, directeur général de Marama Nui, filiale de EDT Engie, l’opérateur historique et de référence en Polynésie française en matière d’hydroélectricité.
Papenoo, qui est la plus grande vallée de toute la Polynésie française, assure encore 61 % de la production hydroélectrique de Tahiti. Avec ses 91 km2, elle présente le plus grand bassin versant de l’île, 370 mètres de chute brute valorisée par 3 centrales, 5 barrages et 8 turbines. Mais les coûts liés à la construction ainsi qu’à l’entretien de tels ouvrages, de même que les spécificités de leur localisation naturelle ou encore leurs potentiels impacts sur l’environnement ne permettent pas d’envisager d’en reproduire indéfiniment le modèle sur de nombreux autres sites.
Dans un contexte de plébiscite du développement des énergies renouvelables afin de réduire la part de l’énergie thermique, la petite (voire mini) hydroélectricité, faisant appel à des installations de dimensions bien plus réduites via notamment des captages et la mise en œuvre de tout petits bassins de rétention d’eau des retenues plutôt qu’à de coûteux barrages, apparaît comme une solution prometteuse, respectueuse du contexte naturel, économique et social de nos îles.
Investir à Tahiti : Qu'est-ce qui a amené les ingénieurs d'Engie à se pencher sur un nouveau (ou plutôt un autre) modèle d'outil de production d’énergie pour la Polynésie, à savoir la petite hydroélectricité ?
Yann Wolff : L’expérience du passé, les discussions et rencontres avec les parties prenantes (associations, riverains, propriétaires, élus locaux à commencer par les tavana) ont conduit les ingénieurs de Marama Nui et du groupe EDT Engie à faire évoluer leur mode de pensée. Il y a 10 ou 15 ans les grands ouvrages tels que ceux mis en service dans les années 80/90 par Marama Nui, notamment les centrales édifiées sur la Papenoo, nous semblaient être une évidence.L’échec du projet Vaihaa en 2009 et la réussite des projets Hydromax (de toutes petites turbines écologiques bénéficiant en outre d’un programme de végétalisation, qui viennent optimiser comme à La Maroto les structures déjà existantes, sans nouvelle retenue d’eau ni changements sur les cours d’eau, NDLR) nous ont convaincus du bien-fondé de la petite hydroélectricité en Polynésie française.
En d’autres temps, les gens avaient parfois été échaudés par le fait que certaines promesses ne soient pas tenues ; il fallait donc aussi nous assurer de regagner la confiance de tous, en communiquant dans la transparence car nous ne pouvions pas tout promettre non plus.
Depuis quand Engie réfléchit en réalité à ce programme ?
Yann Wolff : Depuis toujours… La première centrale réalisée par Marama Nui, dès 1981 (il s’agit de Vaite 1, mise en service dans la vallée de la rivière Vaite sur la commune de Teva i Uta) relève de la petite hydroélectricité.
Quels seraient les sites concernés sur Tahiti et potentiellement sur les autres îles ?
Yann Wolff : Toutes les rivières de taille un peu significative sont potentiellement concernées. À partir de là, il s’agit ensuite de voir la situation foncière, la proximité des réseaux électriques et des consommateurs et surtout l’acceptation de ces projets. Hors de Tahiti, il existe des potentiels à Raiatea et aux Marquises.
De quelle puissance parle-t-on ?
De la petite centrale hydraulique (puissance allant de 0,5 à 10 mégawatts), de la micro-centrale (de 20 à 500 kilowatts), de pico-centrales (moins de 20 kilowatts) ou bien d’installations allant au-delà en termes de puissance ?
Yann Wolff : Sur Tahiti environ 1 000 kW/5 GWh par an ; ce qui concerne environ 2 000 foyers. On parle chez nous de mini hydro entre 100 kW et 10 MW ; mais ce n’est pas une terminologie très exacte ni très utile. Je signalerai simplement que la pico-hydro n’existe plus… en dehors peut-être des refuges de haute montagne.
Quel impact sur le plan environnemental, voire paysager, peut induire la construction et le fonctionnement d’une telle centrale ?
Yann Wolff : On parle quoi qu’il en soit d’aménagements hydroélectriques fonctionnant avec de tout petits ouvrages de retenue. L’impact sur la rivière est donc quasiment nul. Ces ouvrages présentent en outre de nombreux avantages puisqu’ils sont faciles à franchir en cas de crue, sans fragiliser pour autant la structure, mais aussi faciles à entretenir et à nettoyer. L’impact visuel, quant à lui, se limite à un fare de 80 m2 accueillant la turbine ; une turbine qui tourne toute seule, dans une structure vide, tout étant centralisé, pour les cinq vallées dont nous détenons la concession (Vaite, Titaviri et Vaiheria pour Teva i Uta, les Lavatubes - Faatautia et Papenoo), à Taravao.
En fonction de l’échelle des structures considérées, quelles sont les différences constatées en matière de coût de construction puis d’entretien ? Si on devait comparer, par exemple, une minicentrale du type de Vaite 1 et l’une des centrales plus conséquentes édifiées sur la Papenoo ?
Yann Wolff : Pour une petite centrale, on vit en projet neuf un coût estimé aux alentours de 20 Fcfp/kWh tandis que pour des gros ouvrages, ce coût se situe plutôt au-delà de 30 Fcfp/kWh. Quant aux coûts de maintenance (du curage des bassins de rétention aux interventions sur la structure même, des opérations qui ne se déroulent pas du tout à la même échelle et avec les mêmes contraintes selon la taille des installations, les dépôts végétaux étant notamment moindres dans les petites structures), ils sont de l’ordre de 2 Fcfp/kWh sur une petite unité (10 M de francs Pacifique/an) contre le double sur une grosse.
Que manque-t-il aujourd’hui pour mettre en place les suivantes ?
À moins que le programme ne soit déjà lancé ?
Yann Wolff : Le temps d’y travailler ! Nous venons tout juste de terminer le programme Hy-dromax I,
nous travaillons actuellement sur l’amélioration d’un barrage à Papenoo (le projet cote 95). Nous espérons pouvoir proposer au Pays (c’est l’autorité concédante des forces hydroélectriques) des projets en début d’année 2020. Nous pensons particulièrement à un projet d’équipement de trois vallées de Tahiti avec des petites turbines identiques. Nous espérons aussi pouvoir proposer un programme Hydromax II en 2021 (Hydromax consistant donc toujours à améliorer les équipements existants). Tout en conservant à l’esprit le fait que l’énergie thermique permet aux usagers de garantir leur confort et la régularité du débit électrique (l’un des grands défis liés à l’électricité concernant encore la difficulté de son stockage), à quelle proportion la mise en place d’un tel programme porterait la production d’électricité propre ?
La part d’hydroélectricité est actuellement de 33 % en moyenne soit 160 GWh environ. L’objectif pour Marama Nui est d’essayer de porter cette part à 40 % (200 Gwh). Cet effort s’inscrit dans la volonté du Pays d’atteindre
75 % d’EnR (énergies renouvelables, NDLR). À terme, l’hydroélectricité à toute sa part sur le sujet en Polynésie dans les îles hautes. C’est un domaine connu et maîtrisé avec un vrai modèle et un vrai savoir-faire polynésiens. Par ailleurs, il faut quand même rappeler que l’hydraulique affiche près de 130 ans d’existence, c’est donc un savoir-faire plus que maîtrisé et qui a plus que fait ses preuves. L’Europe a été électrifiée par l’hydroélectricité. Quant aux turbines que nous utilisons au sein de nos minicentrales, ce sont des Francis, une société qui représente 95 % du marché mondial des turbines.
Quels sont les avantages
de ces petites centrales pour l’environnement et notamment sur le plan de la gestion de l’eau en période de sécheresse ?
Yann Wolff : L’avantage c’est que, justement, elles ne gèrent pas l’eau.
D’où leur impact extrêmement faible. Dès qu’il y a une crue un peu forte, la rivière reprend ses droits tout simplement, presque comme si l’ouvrage n’existait pas (alors que sur des ouvrages déjà beaucoup plus conséquents comme Vaite 2, il a été indispensable de construire un déversoir à crues, d’un coût de
500 millions, afin de ménager
la structure - les volumes d’eau retenus étant beaucoup plus importants, cette dernière ne doit
en aucun cas passer par-dessus les installations et de faire en sorte que
celle-ci puisse s’écouler à côté, afin également de garantir la sécurité
en cas de grosses crues soudaines ;
un cas de figure potentiellement fréquent en Polynésie qui ne permet pas, du fait de la rapidité de survenue de certains phénomènes météorologiques, de prévenir les populations). Il est par ailleurs très facile de ménager dans ces mini-structures des installations de type « ascenseur à poissons » afin de ne pas gêner les transits reproductifs, par exemple, de certaines espèces.
En revanche, et pour la raison évoquée en début de réponse, en cas de sécheresse, elles ne sont d’aucun secours.
En marge, sur le plan de l’environnement toujours, je signalerai que nous rendons de l’eau plus oxygénée et qu’il n’existe pas non plus d’impact en termes de température puisque l’eau, plus profonde dans les bassins de rétention, est aussi plus fraîche que l’eau de surface. En outre, pour prendre l’exemple de Vaite 1,2 km seulement séparent le bassin et la machine ; une courte distance sur laquelle les canalisations sont intégralement enterrées sous la piste.
Ces petites centrales fourniraient-elles de l’électricité sur le réseau commun de Tahiti ou bien seraient-elles plutôt destinées à servir des lieux de consommation proches, en étant « décentralisées » en quelque sorte ?
Yann Wolff : Nous pensons à de l’injection directe sur les réseaux de distribution à proximité des consommateurs pour limiter les pertes et le besoin en infrastructures.
Est-ce un modèle qui peut-être adapté aux atolls avec l’eau du lagon ou bien faut-il nécessairement une île haute, une vallée et un débit d’eau en dénivelé ?
Yann Wolff : Hydroélectricité = hauteur de chute = montagne, c’est implicite. Pour les lagons, on parle d’hydrolienne ; il s’agit donc d’un mode de production résolument différent pour lequel Marama Nui et le groupe EDT Engie n’offrent pas de savoir-faire particulier.
Ces petites centrales pourraient-elles devenir des lieux de visite et de valorisation touristique ?
Yann Wolff : Oui, tout à fait. À mon sens, l’hydroélectricité a surtout de l’avenir si elle apparaît comme un facteur de co-développement pour d’autres activités tels que les fa’a’apu (cultures vivrières traditionnelles), le domaine de la culture, le tourisme. Depuis plusieurs années maintenant, nous travaillons ces sujets avec divers partenaires. Je pense par exemple aux terres agricoles et au bain de Titaaviri à Papeari, au site touristique de Pona Roa à Papenoo ou encore au sentier de découverte du lac Vaihiria, au cœur de l’île de Tahiti.
Lors du rachat de la société Marama Nui en 1998, EDT Engie s’est engagé à travailler de manière exemplaire et à réhabiliter notamment les écosystèmes des vallées, qui constituent autant de berceaux de la biodiversité. Et la société en a toujours tenu compte dans ses aménagements, avec en prime l’obligation d’assurer et d’entretenir un accès à des sites qui seraient sans doute largement inaccessibles autrement ; ce qui est en soi source de confort et de profits pour les riverains et les propriétaires. Par ailleurs, le fait d’en réguler également l’accès contribue à sécuriser et préserver ces endroits.
Concrètement, nous nous sommes engagés à travers de nombreuses mesures allant de la formation du personnel à des pêches préventives de sauvegarde afin de réduire l’impact environnemental de tous nos équipements. Le tourisme vert est donc déjà particulièrement actif dans les vallées aménagées, qui sont des lieux riches d’une faune et d’une flore endémiques protégées. Dans cet esprit, les vallées de Papenoo et de Titaaviri bénéficient déjà, ainsi que je l’évoquais plus tôt, d’espaces de baignade, d’aires de pique-nique et de sites archéologiques réhabilités.