Voici quelques mois, fin 2023, après que le projet a mûri durant quelques trois années, Hotu, premier gin polynésien né à Moorea, a été présenté au public. Succès immédiat. La volonté dès le départ, fut de donner à ce gin une identité polynésienne. Les baies de genièvre ne poussant pas en Polynésie, c’est une matière première importée. Pour le reste, les terroirs de nos îles ont fourni les secrets de leurs arômes et de leurs saveurs.
© Texte : Agence SMILE - Photos : Manutea
Manutea on travaille avec un herboriste en France, on a fait venir coriandre, cardamome, racine d’iris, d’angéline qu’il avait proposées, des matières premières qu’on retrouve de manière assez commune dans le gin. On a commencé les tests avec des matières premières, en introduisant de la botanique locale, principalement agrumes, miri et citronnelle. Au fur et à mesure des essais labo (il y a un côté très parfumerie dans le gin, on est en macération dans de l’eau de vie à 45° et on distille le tout dans l’alambic, avec l’agitateur, et une macération qui va durer 24h selon les matières (il n’y a pas les mêmes quantités d’ingrédients.) la législation dit qu’il faut le marqueur Baie de genévrier, mais ensuite, autant d’ingrédients que l’on veut. Deux déplacements ont été menés en France, pour visiter des distilleries qui fabriquent du gin, notamment la distillerie de Provence à Forcalquier (gin XII), en Alsace (Miclo) et en Allemagne, Au fur et à mesure des essais, tous les ingrédients d’importation ont été retirés, pour ne garder dans la recette que des matières premières locales (hors baies de genièvre).
Des batchs à taille humaine
Une fois consolidés recette et process, avec 9 ingrédients polynésiens, on a fait un premier batch de gin hotu, avec une distillation le 2 juillet 2023. Comme on le fait pour nos rhums agricoles, l’eau de vie est ensuite reposée en cuve inox, avec une réduction lente, un brassage, une aération pendant 3 mois. Cela permettait d’intégrer l’alcool, de donner de la souplesse et du gras, de retirer les alcools volatiles un peu agressifs. Hotu a été lancé en octobre 2023 avec 1200 bouteilles qu’on a vendues avant la fin de l’année 2023. Ils avaient la chance d’avoir deux ambassadeurs de chez Monin, dont un mixologue, Ils ont tourné avec les bouteilles test, alors que le produit n’était pas encore lancé, sur Bora, Taha’a, les différents hôtels de la place. Cela a créé un pré-lancement très positif. On ne pensait pas que les ventes iraient aussi vite. Donc là, on a un second batch de 2000 bouteilles qui arrive. On pourra pas faire plus que 2000 de toute façon. Donc l’idée c’est de répéter des batchs de 2000 bouteilles, à chaque distillation.
Les ingrédients : baies de genévrier, puis bouquet d’agrumes que l’on sent au premier nez : citron vert, pamplemousse et combawa. On a aussi le fruit de la passion, pour compléter les notes citronnées. Ensuite on bascule sur la partie plantes, avec la citronnelle, du miri (basilic), du tiare Tahiti pour le petit côté capiteux et sur la finale, du curcuma et du gingembre, le tout mélangé avec une eau de vie neutre.
Lors de la première macération, quand on arrête le malaxeur, l’ensemble des ingrédients ont formé un coeur.
Plusieurs déclinaisons
On a fait d’abord un lancement CHR pendant un mois, le CHR avait l’exclusivité, et puis le volume on le fait quand même en grande surface. Et donc comme on le déploie en grande surface sur le rhum Manutea, on a décidé de le faire aussi.
Etiquette le prochain batch est avec le tracé de la baie de ‘Opunohu sur l’étiquette. C’est la première fois qu’on fait ça, cet effet loupe, avec ce décor dans le fond. Et on est probablement un peu trop chargé. On ne comprend pas tout ce qui se passe si on n’explique pas tout. Il y a des illustrations de nos ingrédients, C’est plus clair avec la nouvelle version de l’étiquette.
On aura une version Old Tom, c’est-à-dire qu’on a un fût de gin élevé dans un fût de bourbon qu’on sortira fin novembre, début décembre et chaque année on proposera le gin de Noël avec ce vieillissement d’un an en fût pour avoir cette édition limitée de Noël.
Qui apporte une coloration du goût et il y a une recette, un petit segment... qui s’appelle Autumn Gin, c’est des Anglais qui ont fait ça. Et ça, la Citadel en a fait, il sont plusieurs à en faire. Donc oui, ça colore. Et puis ça va atténuer le côté parfumerie, mais on reste quand même dans l’économie de Gin.
Et on a ce côté qui colle bien, moi je trouve à l’esprit de Noël, un peu pudding, alors on va avoir cette notion de caramel, ce côté torréfié, voilà je trouve que ça colle bien à notre idée de vouloir lancer ça aux fêtes de fin d’année.
Des agrumes & des fleurs
On est curieux quand on va vider la barrique, je pense qu’elle sera complètement foutue parce qu’il y a tellement d’imprégnés à marquer le bois. 200 litres, donc 380 bouteilles, 8 à 40°, on ne sait pas encore à quel taux on va le réduire, mais en gros ça va faire 350 bouteilles. Et puis si, pour l’instant c’est un petit peu tôt, mais si Hotu dans cette version-là continue de bien marcher, on aimerait proposer une version pink avec notamment de l’hibiscus et aller chercher un petit côté rosé, un côté plus floral du coup, plus capital, plus floral, moins agrume. On a quelques idées d’une déclinaison, d’une seconde recette. sous réserve que les volumes de celui-ci continuent de bien fonctionner. C’est un petit peu tôt encore.
La question de l’assembleur : Avez fait un peu le tour des fleurs et plantes qui dessinent ce gin ?
Non, on n’a pas fait le tour du tout. On n’a pas testé aujourd’hui d’autres fleurs, d’autres plantes, mais encore une fois, c’est complètement illimité dans le choix. À un moment donné, on a parlé de vanille, pour le côté capiteux.
Je regarde aussi de temps en temps le Paul Pétard (livre des plates utiles) je regarde un peu dedans ce qu’ils peuvent raconter parce que parfois on peut être surpris, il peut y avoir des choses qui sont aromatiquement séduisantes mais pas forcément très bonnes pour la santé, ou qui peuvent déclencher des diarrhées, des choses comme ça, c’est pas l’objectif, bon même si c’est distillé derrière, mais ça peut donner des connotations, il faut toujours faire un peu attention.
On aimerait proposer une version pink avec notamment de l’hibiscus
Et pour le coup on ne l’a pas fait et c’est un savoir qui va se perdre, c’est dommage, mais tous les ra’au mythiques des anciens qui savaient telle plante, telle fruit, telle fleur, et qui lui attribuaient des propriétés médicinales. C’est vrai qu’il y aurait un travail hyper intéressant à faire. Parce qu’au départ, le gin avait cette connotation médicinale, d’abord antiseptique, puis en alcool associé avec la quinquina (source de quinine) pour lutter contre le paludisme notamment, en rendant son absoprtion moins amère.
Drèches d’ananas, exemple de déchet valorisable
Les drèches d’ananas sont des résidus solides qui restent après l’extraction du jus ou d’autres parties comestibles de l’ananas. Elles sont principalement constituées de fibres, de pulpe, de peau et parfois de graines de l’ananas. Voici quelques utilisations courantes des drèches d’ananas :
ALIMENTATION ANIMALE :
Les drèches d’ananas sont souvent utilisées comme alimentation pour le bétail en raison de leur teneur en fibres et en nutriments.
COMPOSTAGE :
Elles peuvent être ajoutées au compost pour enrichir le sol en matière organique et en nutriments.
BIOGAZ :
Les drèches d’ananas peuvent être utilisées dans des installations de biogaz pour produire de l’énergie renouvelable.
INDUSTRIE ALIMENTAIRE :
Dans certains cas, les drèches peuvent être utilisées pour produire des farines riches en fibres ou comme ingrédient dans des produits alimentaires tels que les barres de céréales.
COSMÉTIQUES ET PRODUITS DE SOIN :
Les résidus peuvent également être utilisés dans la fabrication de produits cosmétiques pour leurs propriétés exfoliantes et nutritives.
Une réalité économique
Pourquoi une telle différence de prix entre les rhums polynésiens et, par exemple, les rhums de Martinique ou Guadeloupe ? Un rhum blanc Manutea à 50 degrés sort à 50 euros chez le caviste quand tous nos confrères martiniquais, quadeloupéens sont à entre 15 et 20 euros en grande distribution.
Il y a le volume d’une part, mais surtout les aides. C’est le volume qui fait principalement le prix ? C’est le volume et puis c’est les aides aussi. La filière canne à sucre est subventionnée sensiblement, ici pas assez. On a des aides à la plantation. Pour l’instant on va dire les seules aides qu’on a très concrètement c’est l’aide à la plantation. Les subventions obtenues auprès du syndicat permettent de financer l’IG, donc le CertiPAC qui va mettre en place le plan de contrôle.
On fait un recensement de toutes nos parcelles et de toutes les variétés de cannes. Donc ça, il y a un mec qui se déplace, qui fait des relevés topo, ça c’est un coût également.
Donc ça, on a des aides de la DAG qui permettent de financer ça, mais ça ne subventionne pas vraiment le coût du rhum à proprement parlé. Et puis après, on a une aide de l’État qui vient compenser (Direction générale de l’Outre-Mer) les taxes perçues par les rhums polynésiens sur le marché européen, comme des rhums colombiens ou d’autres pays tiers.
Fiscalement, les rhums polynésiens ne sont pas reconnus comme production française. Nos confrères antillais payent deux fois moins de taxes que nous, donc ça leur donne un avantage comparatif.
Un amendement au niveau de l’Assemblée nationale avait été proposé pour baisser un petit peu ce volet fiscal. Depuis l’État subventionne le syndicat à hauteur de 50 000 €, qui permet de nous financer des actions, notamment de mission et de développement à l’export. En plus de tout cela, il y a bien sûr des économies d’échelle qu’on n’a pas encore chez nous.
Et le rhum dans tout cela ?
Combien il faudrait idéalement d’hectares de canne à sucre pour répondre à l’ensemble des marchés et faire baisser les prix de façon conséquente ?
Là, on estime qu’aujourd’hui, il doit y avoir en tout et pour tout 80 hectares plantés en canne à sucre. À partir de 500 hectares, on fait des économies d’échelle. 2025, c’est demain, mais ce n’est pas impossible qu’il y ait 100 hectares, ce qui permettrait de faire 500 000 bouteilles en Polynésie. 300 hectares, 1,5 million de bouteilles 1.000 hectares en 2035. Aujourd’hui en Martinique, c’est 6.000 hectares de canne à sucre, 9.000 à la Guadeloupe et 22.000 à La Réunion.
Ils font avec la bagasse et ils sont donc en énergie propre à 100% depuis cette année. C’est génial.
Alors on essaye, nous aussi. Pour l’instant, le volume de bagasse qu’on fait, ça nous permet de faire ça. Je ne sais pas si tu connais Biobasse tahiti. Alors elle fait avec des bananes, mais elle fait aussi avec de la bagasse qui recycle.
Elle a fait pour nous monsieur notre homme prestige qui vieillit dans un feu de vin d’ananas, elle a réalisé un petit leaflet en feuille d’ananas.
Bien vu :
courant 2025 (1er timestre, on va mettre en place une cuve en inox de 30 ou 50 litres sur du rhum blanc, avec un petit robinet sur le bar de la boutique. Les gens pourront revenir avec leurs bouteilles Manutea en verre et la remplir. Ils ne paieront donc plus le verre, qui impacte indéniablement le prix du rhum (augmentation de plus de 20% sur le verre depuis 2019). Il est évident que dans cette démarche écologique, les bouteilles en plastique ne seront pas autorisées.
Et puis on aimerait aussi proposer de la vente directement au fût, de rhum vieux, dans le même principe. Les bouteilles sont jusqu’à présent de 70 cl. Avec les nouvelles plantations (10 hectares récoltés en 2023, 12 hectares plantés, et un objectif de 20 hectares*), les récoltes vont permettre d’augmenter la production et de proposer aux clients, touristes notamment, des petits contenants.
* Difficile d’aller plus loin sur Moorea, dont d’autres îles sont regardées, comme Tahiti, Raiatea, ou aux Marquises…
On est encore loin de pouvoir faire tourner la structure en énergie biosourcée. Mais on parle plutôt d’unités de méthanisation pour revaloriser nos déchets verts, mais aussi toutes nos vinasses de distillations. Donc là, on a des échanges aussi. Quand on vend en France et quand on participe à des salles en mission, on visite aussi des distilleries. Notamment, moi, j’étais l’année dernière chez Roselière en Lorraine. Eux ont mis en place cette unité de méthanisation, ils sont 80% autonomes en énergie. Ils génèrent à la fois de l’électricité et de la chaleur. Donc ça c’est des choses intéressantes à mettre en place ici.
Vaimana, la première vodka du fenua.
Au mois de mars 2024, Manutea a lancé Vaimana, une vodka bio à partir de drèches* d’ananas bio, encore gorgées de sucre et qui sont mises en fermentation. Avec cette réalisation, Manutea boucle ce qu’avait fait Miclo il y a 40 ans, puisque le fondateur de Rotui avait alors lancé une eau de vie d’ananas. La vodka a l’avantage de pouvoir être fabriquée à partir de n’importe quelle première matière agricole. Quand c’est issu de céréales ou de pommes de terre, ce n’est généralement pas mentionné sur l’étiquette. Mais dès que c’est issu d’une autre matière agricole, il faut indiquer : « vodka issue de… » Côté dégustation, Vaimana reste une vodka neutre, mais avec une subtile pointe d’ananas, volontairement subtile.
Le souhait de Manutea est qu’un barman de Polynésie ou dans le monde puisse la travailler comme n’importe quelle autre vodka et qu’il n’y ait pas une exubérance autour de l’ananas. La vodka est une fermentation d’une matière première agricole – en l’occurrence ici les drèches d’ananas – puis distillée. Certaines marques internationales parfois célèbres font des doubles ou triples distillations. Il y a un petit côté « noble » dans ce process. Certains marques poussent à 10 distillations ou plus. Cela neutralise complètement les arômes de vodkas de céréales, qui sont très neutres. Par là, elles cherchent à obtenir un côté souple, gras en bouche, un peu comme un bon whisky.
Mais cela a un coût exorbitant en termes d’énergie et ce n’était pas l’objectif de Manutea. Ici, le principe est une seule distillation et la conservation de cette petite pointe ananas. Le liquide obtenu des drèches est distillé dans l’ancien alambic de Manutea (11 plateaux contre 4 pour le nouvel alambic), ce qui permet de rectifier davantage sur la colonne multi-plateaux et avoir un résultat qui s’approche de la neutralité souhaitée. Tout en restant sur une simple passe pour ne pas complètement gommer la petite note ananas.
Des blind tests ont été menés avec des vodkas achetées sur le marché, justement pour voir s’il y avait une différence. Et il y a cet arôme qui se distingue, ce qui donne tout son intérêt à Vaimana.