« Bien dans son corps, bien dans sa tête. » Tel est l’objectif du projet éducatif Healthy Class mis en place en 2022 au lycée des îles Sous-le-Vent à Raiatea auprès des élèves de seconde. Cent jeunes , encadrés par une vingtaine d’enseignants , suivent ce programme alimentaire, sportif, médical et artistique axé sur des concours de gastronomie.
Texte : Gaëlle Poyade - Photos : Lycée de Uturoa
« L’école ne se résume pas aux cours. Le bien-être de l’élève, c’est l’une des missions que le ministre de l’Éducation confie aux établissements », explique Heremoana Raapoto, professeur de sciences physiques à l’initiative de Healthy Class. Passionné par les mécanismes biochimiques qui se passent dans le corps, l’enseignant dispense, par ailleurs, des conférences gratuites sur la santé d’un point de vue alimentaire.
« Obésité et diabète sont le problème de santé n° 1 en Polynésie », rappelle-t-il. « C’est un besoin pour tous de savoir comment s’alimenter. »
Autour d’une dizaine d’intervenants – médecin, ostéopathe, coach sportif, agriculteurs… –, Healthy Class s’est donné comme mission de mettre nos jeunes aux fourneaux ; il s’agit de leur insuffler l’appétit des produits locaux, en priorité les fruits et les légumes, tout en s’inspirant de toqués renommés.
Chef cuisinier du Lotus à l’hôtel Intercontinental de Faa’a, Franck David parraine le programme. Outre la rencontre avec ce disciple Escoffier, qui s’est rendu trois fois à Uturoa, et Romain Léonard, chef cuisinier au Raiatea Lodge, les élèves de seconde ont fait connaissance avec Teheiura Teahui et Guy Savoy, triplement étoilé.
Heremoana Raapoto parmi ses élèves.
Pour pimenter leur motivation, trois concours de cuisine ont récompensé les apprentis cuisiniers avec des paniers de produits bio, des ustensiles de cuisine, des articles de sport et des repas dans de grands restaurants1.
En effet, Healthy Class s’est rapproché des belles enseignes polynésiennes : le Raiatea Lodge, la Villa Ixora ainsi que le Taha’a By Pearl
Resort. Le Grand Prix, sommet du succès, consiste en une master class à l’Intercontinental de Tahiti où l’élève vainqueur, accompagné par Franck David et sa brigade, refera sa recette. S’ensuivra la dégustation dudit déjeuner qui lui sera servi ainsi qu’à ses deux parents.
Trois concours de cuisine ont récompensé les apprentis cuisiniers
Un sourire radieux lors de la remise des prix au concours n° 1
Retrouver ses légumes-racines
Pour former les élèves, un atelier de cuisine, animé par Poema Moutame, présidente de l’association Taputapuatea Adventure, et ancienne assistante sociale du lycée de Uturoa (Lut), a mis à l’honneur taro, manioc et patate douce. Le résultat sort de la bouche des enfants : « Monsieur, s’il y avait ça à la cantine, je viendrais tous les jours y manger ! », a déclaré une élève conquise par la saveur des vivriers. D’autres ont découvert que le pota se mange cru, que les herbes aromatiques ou bien l’ail des ours bonifient n’importe quelle préparation. Quant aux fruits, les jeunes les ont testés en jus originaux, lesquels les ont marqués : « Maintenant, j’ai le réflexe », affirme Hinanui. « Au lieu de grignoter des biscuits, j’utilise des restes de fruits au frigo, je mixe et ça fait un bon smoothie ! »
Même les agriculteurs bio de l’île, ici Moerani Lemaire, sont présents lors des remises de prix.
Impliquer les familles
Lors des concours, les jeunes devaient réaliser une photo ou une vidéo artistique du plat, écrire précisément la recette et afficher les propriétés nutritionnelles de celle-ci. Mais ce qui les freine à changer de régime alimentaire, c’est leur entourage, notent les professeurs.
Aussi, le concours n° 2 a-t-il posé comme condition de cuisiner avec un membre de sa famille. Cette dimension a beaucoup plu à Franck David.
Kylleana, fière de sa recette cuisinée en famille !
« Quand j’étais jeune, je voyais ma maman cuisiner et j’essayais de l’aider », confie-t-il. « Cette habitude quotidienne a certainement joué dans ma vocation. »
Les élèves ont profité du savoir de Lorelei Quirin, photographe, expliquant qu’une photo d’art est toujours retravaillée.
Les freins au bien-manger
D’autres facteurs les détournent d’une nourriture saine, à savoir « la présence de fast-food et l’offre abondante de plats préparés, vendus en supermarché », poursuit le chef du Lotus. « La deuxième difficulté est budgétaire : paradoxe du fenua, certains produits locaux sont aussi chers que leurs homologues importés, voire plus ! »
Pain blanc, biscuits SAO, riz raffiné, lait en boîte… L’habitude d’une alimentation la moins onéreuse possible masque le fait que « les légumes et les fruits de saison, rapportés au prix au kilo, sont deux à trois fois moins chers que la viande et le poisson », rappelle Heremoana Raapoto. « En Polynésie, poussent des aubergines, concombres, oignons, carottes, pommes de
terre, du pota, des salades… et tant d’autres !
Pour en faciliter l’accès, le lycée avait fourni aux élèves nombre de produits frais, achetés aux agriculteurs bio de Raiatea : Faaro Lab, Raiatea Vahine Faa’apu Natura Roma et Vaihuti Fresh.
« Des sols en bonne santé font pousser des aliments sains qui donnent la bonne santé », explique Thierry Lison de Loma, lors de l’accueil des jeunes sur sa ferme maraîchère bio Vaihuti Fresh.
Certains PRODUITS LOCAUX sont aussi chers que leurs homologues importés
ET LES JEUNES, QU’EN RETIENNENT-ILS
Lola
La course à pied, je pensais que ce n’était pas très utile. Mais l’ostéopathe Florian Lankar nous a expliqué les bienfaits du footing et la manière de le pratiquer pour que ce soit efficace pour notre santé. Je vais essayer !
Gabin
J’adore la viande, et le foie gras ! Je sais pourtant qu’en manger en excès, c’est mauvais. Bien manger, c’est jongler entre viande, légumes, oeufs, poisson… À la cooking class, j’ai cuit des pommes en petits morceaux dans une poêle sans même enlever la peau. Délicieux !
Hanalei
Pendant l’intervention sur le diabète avec le docteur Castelblanco et l’infirmière Teriihaunui, je me suis rappelé que, dans ma famille,
des personnes en sont mortes. Des gens de 40, 50 ans. C’est grâce à cette intervention que j’ai vraiment compris les causes de cette maladie.
Hinanui
Dans ma famille, on aime ce qui est gras et salé. Je pensais que le sel, c’était naturel et sans danger.
Cette année, j’ai réalisé que le sel entraîne des maladies cardiaques. Personnellement, je n’aime pas beaucoup les légumes, mais j’ai eu quelques soucis de santé, je me sentais fatiguée, pas trop bien dans mon corps. J’ai commencé à manger des légumes et j’ai observé que je me sentais mieux. Psychologiquement, aujourd’hui, je n’arrive plus à manger de nems parce que c’est trop gras pour moi.
Excès de sucre dans les boissons : le voir pour le croire
Si l’eau semble la règle en classe, les boissons sucrées font cependant des ravages chez les jeunes. Lors de travaux pratiques, les seconde ont déterminé la masse de sucre dans une bouteille de Sprite. « Comme ils l’ont eux-mêmes défini expérimentalement, ils adhèrent aux affiches qui révèlent le nombre de carrés de sucre dans les boissons », note le prof de sciences physiques.
S’informer vrai pour manger mieux fait naturellement partie du projet. « On trouve sur Instagram des comptes «healthy» qui affirment qu’une salade composée comporte autant de calories qu’un hamburger ou une barre chocolatée », s’étonne Sabine Clabecq, en charge de l’éducation aux médias et à l’information.
« C’est oublier les qualités nutritionnelles des aliments et leur rôle sur la croissance au moment de l’adolescence. » L’équipe de professeurs documentalistes a donc recommandé aux élèves des sites préconisés par l’OMS comme « Les aliments à la loupe » ou encore « CIQUAL » de l’ANSES2. « La cuisine gastronomique travaille pour notre santé en se positionnant comme ambassadrice d’une alimentation saine », souligne Sabine Clabecq. « Nombre de restaurants postent des photos de plats extrêmement soignés et mettent en avant les ingrédients bio utilisés. »
S’informer vrai pour MANGER MIEUX fait naturellement partie du PROJET.
Fort de son intérêt citoyen, Healthy Class est amené à durer, éduquant des adultes qui deviennent exigeants sur les qualités nutritionnelles de leur nourriture. Qui sait si, parmi eux, ne fleurira pas un futur chef ? En attendant que les graines germent, ce programme « te met dans une bonne ambiance pour aller jusqu’au bac », assure Lola. Voilà déjà le défi bien-être relevé.
Randonnées et séances de CrossFit font partie du programme Healthy Class. « Sois le champion de toimême ! », clame le professeur de sport Jocelyn Muntaner à chacun de ses élèves.
SUR LA CANTINE SCOLAIRE
Associé à Healthy Class, le personnel de cantine a également profité d’une cooking class au sein de l’établissement scolaire. L’objectif est d’aller vers le taro, manioc, l’ufi, le taruā, et vers plus de fruits de pays. Quelle désolation, en effet, de servir en dessert aux demi-pensionnaires un petit biscuit ou bien des pêches au sirop en conserve… La quinzaine d’employés du Lut a découvert des plats complets et équilibrés sans viande ni poisson. Déjà, depuis l’an passé, de la salade est servie à volonté à tous les repas.
Certes, la difficulté pour les cantines réside dans un approvisionnement régulier et fiable en fruits et légumes. La création récente d’une coopérative bio adjointe à un point de vente au hangar de déchargement des goélettes à Uturoa devrait lever certains freins.
Démonstration pour se rendre compte de la quantité de sucre dans les produits alimentaires.
Instagram : healthyclass.lut
1. Tama’a Magazine a soutenu le programme Healthy Class
en offrant à tous les participants des concours culinaires
divers lots.
2. Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation,
de l’environnement et du travail.