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Forêts Polynésiennes - Partie II

© Texte : Virginie Gillet - Photos : Lorelei Quirin, Philippe Bacchet, bibliothèques d’images


Gros plan sur la scierie de Hiva Oa

La Société marquisienne d’exploitation de bois est installée sur l’île de Hiva Oa, aux Marquises, depuis 2014. En charge de la gestion de 600 hectares de Pins plantés depuis 35 à 40 ans, elle emploie aujourd’hui 12 salariés et réalise un chiffres d’affaires approximatif de 50 millions Fcfp/an pour 4 à 5 hectares, plantés chacun d’environ 600 arbres, exploités à l’année. Elle est dirigée depuis ses débuts par David Fabre, amoureux du bois, titulaire d’un CAP ébénisterie et ancien luthier, qui a eu la fierté de représenter la France dans une autre vie au Festival international de lutherie de Montréal.


Concrètement, que faites-vous et quelle est votre mission aujourd’hui ?

« D’abord, il faut savoir que nous faisons plusieurs métiers, de l’abattage, du débardage, du transport, du sciage ; ce qui est loin d’être le cas partout. « Normalement » ces différentes tâches sont exécutées par des entreprises distinctes. Mais pour l’instant, on part de rien, il n’y a pas encore d’économie réelle dans cette filière puisque jusqu’aux arrêtés de classement des bois de 2019 nous n’avions pas le droit de vendre nos produits. Cette compartimentation viendra peut-être plus tard, quand l’économie sera vraiment lancée.


Souvent, dans les autres pays, ce sont aussi les gouvernements qui ont géré toutes les structures forestières avant de passer la main au privé. Pour l’heure, cette organisation fait de nous essentiellement des producteurs, un peu comme des agriculteurs. Nous ne faisons pas de travail de sylviculture, mais nous inscrivons vraiment dans la continuité de ce qui a été fait, la principale qualité de cette ressource étant d’abord… d’être là !


En termes d’exploitation, nous nous limitons à la première transformation, à la deuxième si je rabote, mais nous ne faisons pas de produits plus élaborés, faisant appel par exemple à des liants, comme le lamellé-collé. »


Quels produits sortent de chez vous ?

« Nous produisons des éléments de construction principalement, des pièces de charpente, d’ossature, des planches pour des decks.



Nous sortons toutes les sections usuelles de construction. Beaucoup d’autres choses, des poteaux comme en Nouvelle-Calédonie, des tuiles, pourraient être réalisées mais avant même de penser à l’avenir il faut aujourd’hui optimiser le potentiel d’exploitation. Ce que nous sortons globalement à ce stade des scieries locales représente approximativement 4 à 5 000 m3, soit un peu plus de 10 % du marché local. Nous avons donc de la marge sur ce marché évalué à près de 3 milliards de Fcfp. Pour autant, les difficultés restent nombreuses car les moyens à engager sont très lourds alors que nous devons toujours faire face à la redoutable concurrence des pays continentaux comme le Canada, la Nouvelle-Zélande ou les États-Unis, où il est beaucoup plus facile de produire. Pas évident de se positionner en face d’un bois américain à 40 000 Fcfp/m3 raboté et traité quand on propose le même tarif ni raboté ni traité au sortir d’une scierie de Tahiti.


Dans ce contexte, la commande publique vient soutenir l’activité car il ne faut pas oublier que nous créons toute une économie autour, nous sommes dans l’économie circulaire en fournissant, par exemple et pour n’en citer qu’un, du bois de menuiserie. Nous créons des emplois dont les revenus sont aussi réinjectés dans l’économie locale. D’ailleurs, actuellement, la scierie est le plus gros employeur de Hiva Oa. Dans de nombreux pays, il existe aussi des mesures de protection sur le plan commercial comme le gasoil détaxé ou autres et des mesures de soutien aux investissements, à 80 % privés. Il est possible que nous allions dans ce sens, même si pour l’instant cela n’a pas été entendu. »


« Nous sommes dans le secteur primaire : si nous gérons bien la ressource, la filière ne doit pas s’arrêter » (David Fabre, gérant de la scierie de Hiva Oa).

Et les plantations de feuillus ?

Parallèlement au programme forestier visant à planter du pinus, des plantations plus limitées et dans un premier temps expérimentales de feuillus indigènes ou introduits ont été réalisées afin de pallier à la raréfaction de la ressource nécessaire pour répondre aux besoins des sculpteurs et au développement du travail du bois précieux en ébénisterie. Ce programme de plantation des feuillus s’est modestement poursuivi après la fin de celui des plantations de Pin des Caraïbes au rythme de 10 hectares/an, jusqu’à occuper une surface de 400 hectares en 2009. En la matière, comme en bien d’autres, c’est le marché qui commande et si celui de ces bois représente près de 800 m3 importés à l’année, force est de constater que la production locale peine à concurrencer, avec ses bois semi-tendres, les bois durs en provenance d’ailleurs (Fidji notamment, dont les feuillus sont même utilisés dans la construction).


Les principales essences retenues pour ces reboisements sont : le Tou (Cordia subcordata), le Miro (Thespesia populnea), le Tamanu (Calophyllum inophyllum), le santal (Santalum insulare) pour les essences indigènes et le Teck (Tectona grandis), l’Acajou d’Afrique et l’Acajou d’Amérique (Swietenia mahagoni, Swietenia macrophylla), le Khaya (Khaya senegalensis), le Cedrela (Cedrela odorata) pour les essences introduites ; des essences auxquelles sont venues s’ajouter une vingtaine d’autres espèces en réalité. Aujourd’hui l’accent est plus particulièrement mis sur les essences locales à travers le développement de programmes de domestication et de conservation du Santal (un cas un peu à part car cette essence n’est pas privilégiée pour son bois mais pour les autres produits que l’on en tire), du Mara (Neonauclea forsten) dont le bois jaune était transformé en tambours et pirogues, du Toi (Alphitonia zizyphoides) employé autrefois pour la confection de charpentes et également de pirogues, et du Faifai (Serianthes myriadenia) réputé pour les mêmes types d’embarcations.


Longtemps surexploitées, les essences indigènes utilisées de longue date par les sculpteurs et ébénistes continuent à manquer localement car les plantations réalisées durant ces années ne sont pas encore parvenues à maturité alors que la ressource originelle a été largement éradiquée. Victimes de coupes sauvages et en l’absence de gestion véritablement opérationnelle, ces essences à la croissance lente, qui réclament de ce fait beaucoup d’entretien et parfois plus de 70 ans pour parvenir à maturité, nécessitent en outre des sols assez riches (plaines littorales, fonds de vallées, bas de versants montagneux) où elles entrent vite en concurrence avec d’autres destinations des sols ; une concurrence économique encore renforcée par la récurrente problématique du foncier.


En lançant certaines plantations il y a près de 40 ans, le Pays avaient bien en tête de mettre à la disposition des artisans la ressource issue de ses domaines.


Mais l’heure n’est pas encore venue de pouvoir l’exploiter dans un marché en outre beaucoup trop restreint pour avoir requis d’autres moyens et capacités. En attendant la réorganisation en cours de la filière, qui passe aussi par la collecte et la mise en culture de graines issues de certaines essences locales, les artistes et professionnels du bois ont été incités à changer leurs habitudes et à faire appel à d’autres essences comme le Falcata et l’Acajou.

Quels sont les tarifs que vous pratiquez ?

« Nous sommes encore pas mal influencés par les Anglo-saxons alors nous avons tendance à parler en pied carré. Pour un produit basique, c’est donc de l’ordre de 130 Fcfp le pied carré (sachant qu’un pied carré = 0,092903 mètre carré, NDLR) et jusqu’à 180 Fcfp environ pour un bois sans noeud, autrement dit un bois sans branches. »


Exploitez-vous déjà la biomasse (cette dernière étant la matière organique d'origine végétale, animale, bactérienne ou fongique, utilisable comme source d’énergie, notamment par combustion) ?

« La biomasse fait partie intégrante de l’exploitation puisqu’il faut savoir qu’un mètre cube de bois = un mètre cube de déchets produits en parallèle. Sa valorisation est donc à réfléchir. Mais nous n’en sommes pas encore là pour les raisons que j’évoquais précédemment. »


Qu’en est-il des traitements ? Disposez-vous d’un four de thermo-chauffage dédié ?

« Quand on veut rendre le bois utilisable pour la construction, il existe plein de solutions en la matière et nous ne savons pas encore clairement vers quoi nous allons aller. C’est clair, près de 80 % de la production locale est aujourd’hui traitée, la seule solution s’offrant à nous sur le territoire pour cela passant actuellement par les traitements chimiques (Thanalith®) par autoclave (un traitement qui permet de traiter le bois à coeur, NDLR) réalisés par les services du Territoire à la scierie de Papara.


Pour autant, nous sommes dans une période de prise de conscience par rapport à l’environnement. Il y a de plus en plus de gens qui réclament du bois non traité et il faut tendre vers ça. D’autant que tout est souvent question d’entretien des choses. D’ailleurs les garanties dans la construction sont très courtes ici. Il existe également des alternatives aux produits chimiques comme le bois rétifié produit par traitement thermique à haute température. Mais les installations permettant le thermo-chauffage n’existe pas à ce jour localement.


Dans ce domaine, quoi qu’il en soit, il n’y a pas d’uniformité… et il n’en faut pas. »

Les différentes utilisations possibles du Pin des Caraïbes

Cette essence peut être utilisée sous la forme de bois scié dans le cadre d’utilisations extérieures (clôtures, barrières, écrans acoustiques, mobilier urbain, aires de jeux, construction portuaires, pontons, hangars, séchoirs à coprah, aménagements extérieurs, tuiles…) et d’utilisations intérieures (parquets et planchers, éléments de menuiserie et agencements intérieurs, revêtements muraux et lambris, mobilier intérieur…). Elle peut aussi, sous cette forme de bois scié toujours, participer à des structures (maison avec ossature bois, lamellé-collé…) et faire l’objet d’utilisations « spéciales » (fonds de véhicules après traitement, emballages et sur emballages, palettes et caisses-palettes).


Conditionné sous la forme de bois ronds, le Pin peut également permettre de fabriquer des poteaux électriques ou téléphoniques, des glissières de sécurité, etc.


Si la durabilité dépend évidemment des conditions de conservation et du traitement préalablement subi par le bois, il faut noter qu’il s’agit d’une essence qui « offre une bonne résistance naturelle aux insectes, s’imprègne facilement de produits insecticides et fongicides, et accepte un traitement ignifugeant permettant potentiellement un classement de réaction au feu M1 (qui correspond à un matériau non inflammable) ».


Le Pin des Caraïbes se caractérise, aux yeux des spécialistes, « par une croissance rapide, une grande plasticité et une bonne résistance à moyen terme aux incendies ».

Vous souhaitez en savoir plus ?

Dossier à retrouver dans votre magazine Investir à Tahiti #8 - juin 2021


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