Famille Viriamu de Tubuai, agriculteurs de père en fils & fille
- 5 janv.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 mars
Ils ont tous un lien avec la terre nourricière, rencontre avec une des plus grandes familles d'agriculteurs de Tubuai et, parmi eux, deux frères, une sœur et un fils. Tour à tour, Patrick, Laurent, Diane et Jean-Christophe nous racontent leur héritage familial, l'attachement à leur île et pourquoi ils ne feraient rien d'autre au monde que leur métier d'agriculteur, chacun à sa manière.
© Texte & photos : Doris Ramseyer

Patrick Viriamu, agriculteur et pêcheur
Patrick jette l’ancre de son poti mārara devant le motu Mitihā. Sur l’île, on l’appelle Simon.
Il dégage une certaine prestance, quelque chose de décidé, de posé aussi. Je suis agriculteur et pêcheur, comme mon papa, mais mon premier métier, c’est pêcheur au large. Je cultive aussi des carottes, des poivrons, des navets, et toutes sortes de légumes. On essaie de se renouveler, de faire des tests pour avoir de nouvelles variétés.

Assis sur la plage, il observe les vagues
venant grignoter le sable. Il poursuit :
l’agriculture n’est pas un métier facile.
Il faut travailler dur, c’est épuisant. Mais
c’est un métier que j’aime, en plein air, différent
chaque jour, et hérité de nos parents. En
mer, les conditions sont également ardues,
surtout depuis 10 ans, car le poisson
s’éloigne toujours plus des côtes. Patrick est
président de la coopérative des pêcheurs de
Tubuai, ceux du lagon et de haute mer. J’allais
toujours à la pêche avec mon papa, malgré mon
handicap. Patrick a contracté la poliomyélite
à l’âge de 4 ans, sa jambe gauche est restée
paralysée et dénuée de tonus musculaire.
Le pêcheur est multiple champion du
monde de va’a handisport et, sans la
covid, il aurait participé aux Jeux paralympiques
de Tokyo.
Patrick a trois enfants. Son fils est désormais agriculteur, et ses deux filles, actuellement étudiantes, projettent également de le devenir. Un comble pour ces parents, qui ont poussé leurs enfants aux études. Un comble pour ces enfants, qui tous avaient hâte d’aller à Tahiti ! Une étape nécessaire pour
décider objectivement de leur choix de vie. En devenant agriculteur ou pêcheur, on est son propre patron, on décide librement de ses horaires, et surtout, on peut rester vivre à Tubuai.

Patrick explique que l’Adie soutient les agriculteurs débutants. Pour exploiter un champ de 1 000 mètres carrés, ces derniers pourront directement investir l’aide reçue, soit environ 350 000 Fcfp destinés à l’achat d’engins, de graines et de produits. Quand on démarre dans ce métier, il est difficile de construire des projets, et de mener une vie confortable car, souvent, il faut débuter en remboursant un prêt. Vivre de son fa’a’apu pour se nourrir, c’est une chose, et presque tous les habitants le font. Par contre, gérer de grands champs pour le commerce, c’en est une autre. Mais, au fond, Patrick est fier de voir ses enfants suivre le chemin de la terre.
Jean-Christophe Viriamu, éleveur de poules pondeuses
Jean-Christophe, 25 ans, est le fils de Patrick. Sa voix est tranquille, ensoleillée. Il a obtenu en 2019 un BTS en électrotechnique à Tahiti, et a travaillé dans ce domaine pendant un an à Papeete. Il y a un an, le jeune homme est revenu sur son île natale : à Tahiti, il y a une moins bonne qualité de vie, alors j’ai préféré revenir à Tubuai.

Car j’aime les animaux, et je souhaite gagner ma vie avec l’élevage. J’ai 150 poules qui pondent chaque jour une centaine d’oeufs.

Sa production ne suffit pas à satisfaire la demande de Tubuai, même s’ils sont plusieurs éleveurs. Ses poules disposent d’un bel espace, conforme aux normes bio au niveau de la taille et de l’ombrage dispensé par des citronniers; mais les oeufs ne sont pas certifiés bio : il faudrait une alimentation qui le soit également. Le jeune homme souhaite acquérir plus de terrain pour élever jusqu’à 10 000 poules. Pour ce faire, un travail fixe est nécessaire : il désire devenir pompier d’aéroport.
Jean-Christophe est également apiculteur, il gère deux ruches, par passion. Il travaille aussi dans l’agriculture familiale et la pêche. À côté, il trouve le temps de s’entraîner au va’a, une discipline dans laquelle il a plusieurs fois été champion ; en 2018, il a notamment gagné la course V6 en junior de l’Hawaiki Nui Va’a avec le team OPT. L’intérieur de la maison familiale regorge de médailles, entre celles du père et du fils.

Diane Viriamu Deane, commerciale
Diane est la soeur de Patrick, de Laurent et de Charles. Son rôle : proposer et vendre la production familiale aux distributeurs et grossistes de Tahiti, tels SIPAC, Disfruits Pacific, Carrefour, Champion, les marchés U, Poly Import, et Comptoir Commercial Cécile. Son visage est éclairé d’un sourire jovial : j’aime ce que je fais, gérer tous les stocks, organiser les liens avec les clients. J’ai l’esprit commercial !
Les quantités et variétés de fruits et légumes varient en fonction des saisons, des intempéries, du prix des semences et des maladies ; ainsi, la pomme de terre a été abandonnée par manque de rentabilité. En ce moment, les choux sont attaqués de l’intérieur par des chenilles devenant papillons, alors que l’extérieur reste beau. Diane veille à maintenir un lien de confiance avec ses clients ; si la récolte est mauvaise, elle distribue peu, mais équitablement, entre chaque d’eux. Elle connaît leurs attentes, les spécificités des différents légumes, c’est ce qui fait sa force et la réussite de l’entreprise. Tout comme la bonne entente et le professionnalisme qui règne au sein de cette grande famille de cultivateurs.

Avant l’ère d’Internet, cette commerciale située à Moorea se déplaçait systématiquement à Tahiti les jours d’arrivage du bateau arrivant des Australes. Pour écouler la production familiale, elle démarchait en personne petits et grands magasins, snacks et restaurants. Aujourd’hui, tout est simplifié, les commandes et factures s’effectuent en ligne, et une partie du travail peut être délégué. Pas de surproduction envisageable, car Diane ne dispose pas de lieu de stockage à Tahiti ni d’aucune structure réfrigérée. Alors elle s’organise. Il y a trois frères, donc une alternance entre les récoltes de chacun. Pendant un mois, l’un récolte, puis c’est au tour du suivant, et ainsi de suite.
Ces derniers produisent des légumes variés, mais Diane les incite à se diversifier. Elle tente aussi de réunir tous les producteurs Viriamu en une seule entité. Les femmes de la famille se sont démarquées et ont créé une petite association, Hotu no Tupuai, afin de réaliser des cultures en commun ; elles partagent leurs revenus pour investir plus facilement dans du matériel, des engrais, etc.
La femme de Patrick, Marie-Françoise, s’est lancée dans la plantation de navets. Les petites soeurs de Diane, Josiane et Marie-Yvonne, cultivent surtout du radis. Ses nièces, les filles de Laurent, plantent à présent des poivrons, et produisent 250 kilos par récolte ; les légumes sont légers , à l’inverse des prix, plus lourds ! L’une d’elles cultive désormais de la pastèque.
Les femmes fonctionnent différemment de mes frères, leurs récoltes sont plus réduites, mais plus régulières aussi, remarque Diane.
La commerciale a « appris sur le tas ». Plus jeune, elle accompagnait son père qui vendait ses légumes en ville, à Papeete. Un jour, elle le voit présenter ses 70 sacs de choux à un commerçant qui lui en propose 200 000 Fcfp. Sa fille intervient.
Pour Diane, c’est tout simplement du vol, elle sait que les choux se négocient alors à 300 Fcfp le kilo, et non pas à 120 Fcfp le kilo comme c’est le cas à ce moment-là. Elle fait mine de repartir vers d’autres vendeurs, or c’est entièrement du bluff. Son interlocuteur, furieux, finit par céder, et achète les choux à 250 Fcfp le kilo. L’agriculteur, aussi désarçonné que mécontent des risques encourus, laisse désormais sa fille se débrouiller pour les futures ventes. C’est ainsi que Diane fraie son chemin dans le commerce. Et depuis 30 ans, elle est l’intermédiaire indispensable entre les distributeurs de Tahiti et les cultivateurs de Tubuai.
Laurent, agriculteur, grand producteur de l’île
Un hennissement au loin. La terre aride, la solitude, et aucun souffle d’air. Le soleil brûlant, les corps en sueur. Dans le champ qui jouxte celui de Laurent, Charles parcourt le sien à bord de son tracteur. Norbert, son ouvrier, dégage les mauvaises herbes autour des plantations de pastèques ; trois variétés y sont cultivées.
Les Tarzan, grosses et charnues, arrivent à maturité après trois mois ; elles pèseront entre 5 et 6 kilos, mais pourront atteindre jusqu’à 15 kilos. Les Sugar Bell et Sugar Baby sont des fruits ronds et vert foncé. Les Cacao sont plus petites et ovales. Plus loin, Norbert désigne les plantations de melons, qui ne sont pas encore en fructification. Et, là-bas, les poireaux, prêts à être récoltés.

Dans le champ voisin, Laurent, frère de Charles, sème en ce début janvier des graines de choux. Une variété résistante aux insectes nuisibles. Une boîte de 100 grammes contient 20 000 graines, dont le rendement est évalué à 20 tonnes de choux, qu’il devrait récolter en avril. Laurent, appelé Taina sur l’île, est agriculteur depuis plus de 30 ans et dispose de 30 hectares de terres cultivables ; il est aussi président de la SCA Te Vari.
Tous les légumes poussent ici, et toute l’année. Il y a un bon climat à Tubuai. C’est juste une question de courage pour faire ce métier, et de rester en bonne forme physique. Je gagne très bien ma vie. C’est un métier formidable. J’aime le matin voir le soleil se lever et retrouver mes champs.
Laurent reconnaît que les saisons sont bouleversées. Le temps a vraiment changé. Avant, tout était bien défini, les périodes de pluie, les moments pour planter, et pour récolter. Maintenant, je peux planter, et tout perdre. Ça m’est déjà arrivé. Mais j’ai beaucoup de cultures différentes, alors c’est l’avantage. Puisque les terres fatiguent, comme d’autres, Laurent a désormais recours aux engrais. Il ne vend qu’en gros, et uniquement à Tahiti. Fin décembre, il a envoyé ses dernières récoltes de pastèques de l’année sur le Tuhaa Pae IV.
Les terres des Viriamu sont domaniales, mais aussi familiales, avec des terrains indivis. J’ai poussé mes filles aux études, car si l’on n’a plus de terres, c’est bien d’avoir un autre travail. Ici, on est 9 souches. La nôtre compte 15 personnes. Et puis y a les enfants après. Ça fait beaucoup de monde pour ces terrains. Alors, peut-être qu’un jour, on ne pourra plus cultiver.
Mais les trois filles de Laurent sont revenues sur Tubuai. Et toutes sont devenues agricultrices. Comme si la culture du sol était à la fois un héritage, une force, une passion.
Il faut que les parents aient les mains dans la terre, pour que les enfants fassent de même. S’il n’y a pas de relève, l’agriculture va mourir. Pour les jeunes qui n’aiment pas cela, et qui ne trouvent pas de travail ailleurs, ce n’est pas évident de faire ce métier. Mais retourner à la terre et à la mer, c’est le seul espoir.