© Texte : Valentine Livine - Photos : Valentine Livine & Erwan Covic
Dès qu’il se meut pour montrer un mouvement de kung-fu, l’énergie qui se dégage de lui est impressionnante. Revenu depuis 2 ans du temple Shaolin, en Chine, Erwan Covic plante la graine de la philosophie kung-fu à Tahiti.
Kung signifie “travail”, fu veut dire “feu”.

D’UN JEUNE HOMME QUI SE CHERCHE... Erwan Covic a toujours regardé le système de loin, sentant que quelque chose clochait sans savoir quoi exactement. Il souhaitait éveiller les consciences, diffuser des messages pour inviter les gens à se questionner et ouvrir les yeux sur le monde qui les entoure. Il a 17 ans lorsqu’il s’envole pour Paris, prend des cours de théâtre et aspire à devenir comédien. Là-bas, il tente de s’intégrer : se met à fumer des cigarettes (comme les autres), boire du café (comme les autres), jouer un rôle (comme les autres)... Mais il veut plus, car il se sent malgré tout vide.
Et si, au lieu d’incarner des personnages, je me réalisais dans la vraie vie ? Et si je m’autorisais à réaliser mon rêve plutôt que de le simuler ?
Erwan se questionne sur la direction à prendre mais, très vite, sait ce qu’il doit faire : suivre son rêve d’enfant. Adieu Paris, adieu les projecteurs et la scène, adieu les simulacres d’épanouissement.

Je me suis donné un an pour rester au temple Shaolin, apprendre le chinois et perfectionner mon kung-fu, que je pratique depuis petit.
Au début, j’avais en tête de réinvestir cet apprentissage dans des films d’action en faisant des cascades, des arts martiaux. J’étais encore piloté par mon ego !
“Maître bien-être”, Yan Kang, a entraîné le jeune disciple lors de son séjour en Chine.
...ET ENTAME SON PARCOURS INITIATIQUE Je suis passé par le consulat chinois des Affaires étrangères pour entrer en Chine et m’initier au temple Shaolin. J’avais vu énormément de vidéos sur YouTube et j’ai eu l’immense privilège de rencontrer les deux maîtres que j’avais si longtemps regardés derrière l’écran de mon téléphone. J’ai été introduit au temple Shaolin par la petite porte, celle des cuisines ! On m’a conduit dans une modeste chambre où m’attendaient Yan Kang et Yan Zhuang.

Erwan Covic implante la graine de la philosophie kung-fu lors de stages réunissant des élèves motivés et fidèles.
Kang veut dire “bien-être”, “corps en santé”. Zhuang signifie “fort”, “costaud”. Erwan Covic a donc bu le thé avec « maître bien-être » et « maître costaud », une anecdote qui l’amuse encore aujourd’hui tant la scène était cocasse.
À la question, que viens-tu chercher à Shaolin ? le jeune homme de 24 ans répond en laissant parler son cœur : la société me semble anormale, malade. Je suis moi-même malade en vivant dans cette société. Je veux apprendre à me guérir pour transmettre la guérison et l’espoir autour de moi. Les maîtres entendent sa sincérité, l’initiation commence.
Erwan Covic est devenu un disciple shaolin accompli, vivant la vibrante philosophie kung-fu. Erwan a étudié pendant trois ans au temple Shaolin, travaillant autant le corps que l’esprit.
LAISSER TOMBER LE VOILE DE L’ÉDUCATION Erwan passe les premiers mois entre le temple et un village alentour, où il réside. Le jeune homme doit faire ses preuves, aussi réapprend-il le kung-fu avec les enfants. À 24 ans, du haut de ses 1 m 90, il est en cours avec des petits de 2 à 12 ans ! L’image prête à sourire.
Il se sent frustré au début, et choqué aussi. En fait, je me suis vite rendu compte que, malgré mes années de pratique à Tahiti, mon niveau était bien en dessous de celui des petits que je côtoyais en cours. J’ai aussi été choqué par la violence des enseignements. J’ai dû déconstruire ma pensée occidentale, m’éloigner du jugement, mettre à plat mon éducation. Cela a sûrement été une des parties les plus intenses de mon apprentissage... mais aussi la clé pour entrer dans le monde shaolin, un monde hors du temps, comme une bulle spatio-temporelle.
Les coups font partie intégrante de la méthode éducative, la violence et les contraintes imposées aux corps sont réelles, du moins pour notre culture. Je me suis demandé ce que je faisais là : où était le zen ? Où était la philosophie du kung-fu ? Est-ce que tout ça avait du sens ? Je voyais les enfants pleurer de douleur, pleurer sous l’effort aussi physique que mental. Une fois l’entraînement fini, je les voyais aussi rire et jouer comme n’importe quel gamin, retrouver en un instant insouciance et légèreté.
Puis Erwan progresse, son esprit et son corps se forgent à la philosophie du kung-fu et il comprend...

Erwan est devenu la mascotte du temple Shaolin durant son séjour, encadrant les groupes d’étrangers venant pratiquer au temple, assurant des shows télévisuels...
LE KUNG-FU, UN ART DE VIVRE Kung signifie “travail”, fu veut dire “feu”. C’est donc, littéralement, le travail du feu, aussi bien intérieur qu’extérieur. Le feu intérieur est l’homme, le feu extérieur est ce qu’il apprend. Le kung-fu est ainsi le progrès, l’accomplissement de soi par la connaissance. C’est devenir un homme grandi par les enseignements personnels et de la vie. Erwan Covic entame son processus d’intégration de la philosophie kung-fu dans sa vie. Les journées sont chargées, commençant dès 6 h du matin avec un jogging dans la montagne. La première fois que j’ai tenté de gravir en courant les 1 500 marches, j’ai vomi mon café !
Puis, Erwan et son compagnon de training, un jeune moine de son âge du nom de Yan Hao, petit-déjeunent avec un plat complet. S’ensuivent trois heures d’entraînement, le repas végétarien de midi au temple, une pause bien méritée avant la reprise des entraînements. Là, Erwan travaille en privé derrière le temple, avant la méditation du soir.
Au bout de trois mois à ce rythme, le jeune homme intègre le temple Shaolin, devenant le disciple des maîtres Yan Kang et Yan Zhuang. Lorsqu’un groupe franco-phone arrive pour une courte période d’apprentissage, il en est désigné responsable.

La première année est éprouvante pour l’apprenti shaolin qui doit répéter un tao (enchaînement de mouvements) 100 fois par jour pendant 100 jours, afin que le corps intègre et les automatise. Il s’entraîne seul, le maître passant seulement vérifier sa progression et lui intimer de recommencer jusqu’au geste parfait.
C’est comme un nettoyage intérieur. Le corps dépasse ses limites physiques pour libérer l’esprit.
Erwan attend avec impatience d’être totalement admis dans le temple, en ayant le crâne rasé. Mais il a chaud et, surtout, se montre impatient. Avec Yan Hao, il se rase la tête, rendant furieux son maître, se privant de cette cérémonie officielle qu’il attendait tant ! Mais ce n’est que partie remise, car le jeune disciple sent qu’il n’a fait qu’effleurer la surface de l’eau lors de sa première année en Chine. Il décide de poursuivre son enseignement.
UN DISCIPLE SHAOLIN ACCOMPLI La seconde année, Erwan progresse de façon fulgurante. Une fois que j’ai laissé tomber le voile de mes conditionnements, de ma frustration et de mon ego, j’ai pu accéder au véritable enseignement. De là, j’ai progressé comme jamais auparavant. Il devient Shin Yan Jing ; jing étant le reflet, le miroir. Une cérémonie de baptême est organisée pour lui, il obtient un passeport bouddhiste et vit désormais en intégration complète au temple. On lui confie la responsabilité des groupes d’étrangers de passage pour quelques mois, il assure des shows télévisuels, des démonstrations, il a accès à la salle de méditation des moines.

Erwan Covic passera au final trois années à Shaolin, trois années incroyablement riches d’enseignements à apprendre aux côtés des maîtres. De ses débuts balbutiants, mais prometteurs, il deviendra la mascotte du temple. Une place unique dans le temple Shaolin que le jeune homme sait être précieuse. Erwan est le premier Tahitien à avoir intégré le temple, médité aux côtés des moines, obtenu une certification offiicielle Shaolin et un passeport bouddhiste.
Du jeune homme qui se cherche, Erwan Covic est devenu disciple shaolin accompli. Mais au bout de trois années, les choses changent en Chine. Il sent que le moment est venu de revenir au fenua.
La deuxième année, Erwan intègre pleinement le temple, vivant au rythme des moines, assurant sa part.
METTRE EN PRATIQUE À TAHITI Être zen à Shaolin, c’était facile. Le rester ici, c’est autre chose et je vois que l’enseignement continue, précise Erwan. En fait, l’enseignement ne s’arrête jamais, car toute notre vie nous pouvons progresser et devenir la meilleure version de nous-même. Pour cela, le mental est la clé. À Shaolin, j’ai compris ce qu’était la méditation, comment nous pouvions l’utiliser à notre avantage au quotidien, comment elle nous aide à garder notre attention sur un objectif précis pour réussir à attirer à nous ce que nous voulons vraiment.
Le kung-fu est un état d’esprit qui prend racine dans le corps.
Et Erwan Covic a un bel objectif.
Si ouvrir une école de kung-fu semble la voie tracée, Erwan s’y refuse. Cela reviendrait à plonger dans ce système qu’il réussit à éviter et regarder de loin depuis tant d’années. L’objectif d’Erwan est plus grand : ouvrir un centre culturel Shaolin à Tahiti pour favoriser des échanges entre le temple et Tahiti. J’ai tellement à apprendre encore que je ne me sens pas prêt à être maître. Par contre, je me sens bien dans le rôle de pont entre deux cultures. Organiser des échanges, accueillir des maîtres ici, dans un lieu dédié à Shaolin et fondé sur la même organisation interne, emmener des groupes là-bas, en immersion totale... ça, ça a du sens pour moi. Le retour a été brutal pour le jeune disciple Shin Yan Jing.
À Shaolin, tu es dans un espace protégé. Ici, je me suis confronté directement aux contraintes sociales, aux jugements en tout genre. Heureusement, la méditation est un soutien, elle t’apprend à accepter et dépasser.
En attendant de pouvoir réaliser son projet de centre culturel, Erwan enseigne le kung-fu en milieu carcéral et propose des stages vacances pour enfants. Il plante la graine du kung-fu là où il se sent le plus utile. Toujours dans l’idée du partage et de la transmission, le jeune homme contribue ainsi à créer le monde qu’il souhaite voir éclore.
L’enseignement ne s’arrête jamais, car toute notre vie nous pouvons progresser
& devenir la meilleure version de nous-même.

Erwan adapte les enseignements reçus à la culture occidentale, mais toujours dans le but d’éveiller les jeunes consciences.
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Erwan Covic 89 538 588 Facebook : shaolintahiti
www.shaolintahiti.com
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