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Du cru au cuit

Les aliments pouvaient être consommés crus, séchés, ou cuits selon différents procédés. On mangeait les fruits, les baies, certaines racines, les pousses de pandanus (muko tima) ou du cocotier (muko). On pouvait également consommer certains aliments crus, directement sur les lieux de collecte, comme les coquillages ou poissons.


Textes : Frédéric Torrente - Anthropologue


D’autres aliments étaient séchés, simplement exposés aux rayons du soleil sur des claies tressées et surélevées (hokirikiri) ou exposés à la fumée d’un feu de proximité. Ces techniques concernaient surtout le séchage et fumage du poisson et des pieuvres.


Des procédés intermédiaires de semi-cuisson exposaient la nourriture à une chaleur modérée (pārara) sur un feu recouvert de feuilles. Les aliments pouvaient être également grillés sur un feu (magu). Mais le principal mode de cuisson dans les Tuamotu utilisait la technologie du four en terre (umu, kopihe), permettant une cuisson de grandes quantités de nourriture et sa conservation.


Des ressources terrestres pauvres mais autrefois optimisées

A l’inverse de certaines idées pré-conçues, dans les temps anciens, les gens des atolls ne vivaient pas uniquement des produits de la mer ; ils exploitaient non seulement l’ensemble des ressources disponibles sur la couronne corallienne émergée, mais avaient apporté avec eux leurs plantes alimentaires et animaux lors des grandes migrations. Les activités de subsistance des populations des atolls résultaient ainsi d’un équilibre précis entre un système de croyances et de valeurs symboliques qui permettaient la maîtrise de l’abondance des ressources par la pratique de certains rites et interdits, et un système hiérarchisé de pouvoir qui en garantissait la redistribution. Le maintien de cet équilibre fragile était la prérogative des chefs assurant le contrôle rituel des ressources.


C’est tout d’abord par la connaissance et la maîtrise des lentilles d’eau douce du sous-sol des atolls (komo tumu, que les scientifiques nomment « lentille de Ghyben Herzberg ») que les sociétés ont pu survivre dans ces milieux dépourvus de rivières et de relief montagneux. L’économie de subsistance des anciens Pa’umotu reposait sur une agriculture vivrière (hamo katiga) pratiquée en partie dans des fosses de culture creusées à cet effet pour y cultiver principalement cinq groupes de plantes à féculent qu’ils emportèrent avec eux lors des migrations : les Aracées, dont le taro (Colocasia esculenta) et le maota (Cyrtosperma chamissonis), le kape (Alocasia macrorrhiza), les ignames uhi (Dioscoréacées) et hoi-tika (Dioscorea esculenta), les bananiers meika (Musacées), la patate douce kumara (Ipomoea batatas) et peut-être l’arbre à pain (Artocarpus altilis).


S’ajoutaient en dehors des fosses les arbres et les plantes alimentaires dont les cultivars avaient été soigneusement sélectionnés par les Océaniens au fil du temps : le pandanus fara (Pandanus tectorius), la cordyline tī (Cordyline fruticosa), le cocotier niu, hakari (Cocos nucifera), le pia (Tacca leontopetaloides)…



Des techniques horticoles optimales, aujourd’hui oubliées

Schéma de coupe d'un maite, d'après l'archéologue Chazine, 1992


Lors des premiers établissements humains, les migrants s’installaient sur les grands motu situés à l’est des atolls, et y creusaient de grandes et profondes fosses (maite, maroma, kauvai), sous l’influence directe des alizés dominants qui soufflent la majeure partie de l’année, et utilisant la nappe d’eau douce du sous-sol (komo tumu).


Ces premiers migrants savaient exactement où creuser pour atteindre cette lentille et avaient déjà la connaissance des techniques d’excavation de ces fosses et de la création d’un micro-écosystème environnant. Leur fertilisation était assurée par la présence de grands arbres (Pisonia grandis) où nichaient d’importantes colonies d’oiseaux marins qui, avec leurs déjections contenant du phosphate, produisaient un engrais naturel enrichi par l’humus des feuilles tombant au sol.


D’après Jean-Michel Chazine, un archéologue spécialiste des techniques horticoles aux Tuamotu, les groupements de ces fosses, atteignant parfois la cinquantaine, correspondaient à des points de sédentarisation qui se sont étendus au cours du temps en fonction des besoins alimentaires, et de la multiplication des lignages (gāti).


Autour de ces fosses maite était créé avec la végétation un milieu où l’humidité de surface était fortement amplifiée. Leur excavation nécessitait le travail de l’ensemble d’un lignage (gāti), qui, avec des pelles en nacres ou en carapace de tortue, creusaient les différentes couches du sol pour atteindre la lentille d’eau douce. Dans ces grandes dépressions qui pouvaient atteindre une centaine de mètres de long et six mètres de profondeur, l’eau douce surnageante de la lentille affleurait et permettait la culture des tubercules. Un minimum de deux fosses en activité associées à deux autres en régénération, permettait de produire assez de tubercules pour une maisonnée de 10 personnes (Chazine, 2002).


Ces fosses existent aussi dans les atolls de Micronésie, où elles sont appelées « fosses à babai ». Ceci suggère que les premiers migrants aux Tuamotu sont probablement des gens venant d’autres atolls de Polynésie occidentale ou de ceux de Micronésie, possédant cette connaissance et la maîtrise des techniques. Ceci vient à l’encontre des idées reçues, empreintes de « Tahiti-centrisme », que les habitants des Tuamotu sont nécessairement des réfugiés des îles hautes.


Ces techniques de culture des plantes alimentaires en fosses, aujourd’hui oubliées, permettaient une grande autonomie alimentaire des nombreux clans qui étaient harmonieusement répartis sur tout le pourtour des atolls.


Vous souhaitez en savoir plus ?

Dossier à retrouver dans votre magazine Tama'a# 28 - juin 2023

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