La Direction de l’agriculture mène des expérimentations sur l’atoll de Tikehau. L’exploitation de la vigne de table est à l’étude, de même que la restauration de maite. Une technique ancestrale qui a de l’avenir !
© Texte : Delphine Barrais - Photos : Delphine Barrais - Cécile Cantat et DAG
La Direction de l’agriculture (DAG) dispose d’une antenne à Tikehau. Cette antenne est à la fois une station expérimentale qui vise à établir et diffuser des références techniques, et un site de multiplication végétale et production de plants fruitiers. Isolée, cette station permet de multiplier et fournir des plants exempts de maladies comme la tristeza qui fait des ravages sur les agrumes de Tahiti et Moorea, par exemple.
Ainsi, le travail de l’équipe de la DAG de Tikehau permet aux résidents de l’île et des atolls avoisinants de commander des plants de tiare, des citronniers, mais aussi, dans la mesure du possible, des pommes étoiles, figuiers, et bientôt manguiers, pamplemousses, longanes, corossols.
À la station, se trouve une structure de compostage qui contient des résidus de végétaux dont les palmes de cocotier séchées. « Ici, les habitants ont l’habitude de les brûler alors que c’est de la matière organique ! », insiste Cécile Cantat, ingénieure agronome. Elle est responsable de cette station qui s’étend sur deux hectares. Elle travaille avec quatre fidèles agents qui arrosent, marcottent, rempotent, taillent, débroussaillent, manient la minipelle, l’arc à souder en lien avec la maison mère à Tahiti afin d’assurer le bon fonctionnement, et développement, de l’antenne et ainsi mener à bien ses missions !
« Ensuite, il est vrai qu’il faut humidifier le compost et l’équilibrer avec de la matière azotée. » Il y a également une pépinière, une culture de raisin de table et un maite récemment creusé, mais déjà verdoyant.
La Direction de l'agriculture (DAG) dispose d'une antenne à Tikehau
Bientôt du raisin à table ?
Il y a deux ans, pas moins de 400 pieds de vigne ont été plantés sur une parcelle de 75 mètres sur 75. Une vingtaine de variétés différentes (3 porte-greffes et 20 greffes de raisin de table blanc, rouge et noir) ont été soigneusement sélectionnées en fonction de leur résistance à la carence en fer. Elles ont été plantées sur un sol enrichi en terreau.
L'entretien et le référencement technique, depuis, sont rigoureux. Quatre tailles, soit autant de cycles végétatifs ; et donc, de fructification ont eu lieu. Les plants (qui ne produisent pas tous en même temps) restent toutefois encore jeunes, ils produisent à peine et de manière encore inégale.
« Il faut savoir que la lentille d’eau se trouve à 2 mètres, voire 2 m 50 sous la station, il faut le temps aux racines de la trouver. »
Il est normal d’attendre 5 ou 6 ans pour connaître le potentiel de production de ce fruit sur l’atoll. Pour autant, les besoins en eau notamment (4 litres par pied tous les deux jours au minimum), l’investissement en temps et en argent, paraissent importants pour cette culture qui n’est peut-être pas prioritaire. Les efforts se poursuivent en attendant les références techniques et économiques définitives.
La lutte contre les poules et les autres ravageurs persistent. Un répulsif à base d’huile essentielle d’orange douce permet d’éloigner les coléoptères, un engrais à base de déchets d’abattoir séchés et compactés stimule la croissance.
Le maite, une technique prometteuse
Les maite (dénommés maite dans les Tuamotu du Nord-Ouest et kauvai dans les Tuamotu de l’Est) sont des fosses de culture. « L’idée est de creuser le sol corallien de quelques mètres pour atteindre le niveau de la nappe d’eau souterraine », explique Cécile Cantat. Des vestiges de ces fosses existent à Tikehau. L’archéologue Jean-Michel Chazine (1990) en a inventorié 121, réparties en deux zones. La première débute au nord du motu et s’étend jusqu’à l’entrée du village actuel, tandis que la seconde a été en partie recouverte par le village. Datant vraisemblablement du XIXe siècle, elles étaient creusées à l’aide de coquillages ou de carapaces de tortue. Le maite de la DAG, creusé en août 2021, mesure une cinquantaine de mètres de long, et deux mètres de profondeur.
Une fois que la fosse a été creusée, une couche de mélange de terre sableuse, fragments de plantes, palmes de cocotier était déposée. « Ce que nous avons fait », raconte Cécile Cantat, qui y a planté des bananiers, papayers, patates douces. Ces plants (qui servent aussi à la production de boutures et de rejets) s’y plaisent parfaitement « et sans grand entretien ». Dans cette couche fertilisée et régulièrement amendée, devaient surtout être cultivés des tubercules et probablement des bananiers et des ’autī. Par ailleurs, si la patate douce pousse bien à la station de la DAG (il y a 6 variétés), « nous ne pouvons cultiver du taro, ce n’est pas assez humide ». À quelques encablures de là, en revanche, au niveau de l’aérodrome où la lentille d’eau douce est affleurante, le taro pousse sans difficulté. D’où l’importance de bien choisir l’emplacement de la fosse. Le format du maite et les cultures possibles en son sein seront également à adapter en fonction de la profondeur de la nappe, de la couverture végétale environnante et de la granulométrie et la richesse du sol.
Pour aller plus loin, et documenter l’expérience, Cécile Cantat souhaite essayer d’autres espèces et effectuer une collecte de données sur d’autres maite réhabilités ou aménagés ailleurs dans les Tuamotu afin d’établir les recommandations techniques pour le bon usage de ce mode de production agricole. Elle sait que d’autres territoires du Pacifique usent toujours aujourd’hui de fosses à culture, « il faudrait voir ce que, eux, y cultivent et comment pour s’en inspirer ».
Elle distille enfin, çà et là, des conseils aux habitants de l’atoll, elle encourage les cultures, donne des graines pour permettre à toutes et tous de végétaliser et diversifier leur alimentation.
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Dossier à retrouver dans votre magazine Tama'a# 28 - juin 2023