Boire un verre, un plaisir fugace parfois regretté par le déchet plastique aussitôt produit. à raiatea, anne bozych et fanny vernay sont deux artisanes grâce à qui on se désaltère tout en protégeant notre environnement. venez savourer les thés de tahi’tea time et les sirops de Mama Coco.
Texte & photos : Gaëlle Poyade
Après 20 ans d’enseignement auprès de jeunes souffrant d’une déficience cognitive, sa dernière affectation au collège de Faaroa l’installant à Raiatea, Anne Bozych renoue avec sa formation initiale d’ingénieur-agronome. En 2024, elle crée Tahi’Tea Time, une gamme de thés aromatisés. « Ici, à Raiatea, le terrain de jeu est extraordinaire avec des produits fous et des agriculteurs formidables. Comment associer toutes ces saveurs au thé, ma boisson favorite ? » Pour défricher son projet, la scientifique remet les mains dans la terre et parcourt six mois les champs de l’île, étudiant diverses variétés, les modes de transformation et de conservation des fruits, racines, feuilles, fleurs ; concentrée sur les protocoles de séchage, la transformatrice note les températures et les temps nécessaires à chaque ingrédient. Sans omettre le volet économique car déshydrater entraîne une réduction allant de 1/6e à 1/14e.
Tahi’tea time, une gamme de thés aromatisés
Le zeste d’une vingtaine de combawa épluchés à la main ne donne que 15 g de matière aromatique ! Outre les fruits, ananas, goyave, passion, pitaya, mangue, citron vert… les recettes incorporent le piment oiseau, la citronnelle et le combawa en feuilles, les racines de curcuma, gingembre ou encore des fleurs de clitoria. « Je travaille aussi l’hibiscus sabdariffa qu’on appelle roselle en Afrique ; cette grosse fleur pourpre utilisée dans le bissap, je la fais pousser moi-même car la plante ne vit pas plus de 6 mois. » Tous ces ingrédients sont ajoutés à des thés chinois labellisés AB, par respect des normes européennes de l’agriculture biologique. Les thés bruts sont noir et vert, Sencha et Jinjing, en référence à leur méthode de fabrication (bain de vapeur pour le Sencha) ou leur région de production (celle du Hunan pour le Jinjing).
Thé qui ?
Sa reconnaissance s’écrit en toutes lettres sur les étiquettes des sachets joliment dessinés. Elle rend hommage aux « ananas bio, fruités et ensoleillés du Fa’a’apu Moana », aux « piments oiseaux bio donnant le feu intérieur de la ferme Le Panier sauvage », ou encore aux « mangues bio exquisement exotiques de LTB Fenua ». On lit sa carte des thés comme un poème à la Prévert, rebondissant d’un tonique Roots Power (gingembre-curcumapiment) au torride Tea, Sex and Stars. ...
Les expérimentations scientifiques
Quoique affranchies de process industriel chimique et d’arômes de synthèse, les préparations de Tahi’Tea Time n’en sont pas moins le résultat de sérieux tests. « Impossible, pour l’instant, d’extraire le goût de la banane, elle ne s’exprime tout simplement pas. Quant au coco, l’emblème du pays, il aurait tendance à rancir s’il n’est pas extrêmement bien séché et renfermé dans un contenant hermétique. » Dans sa logique qui reflète une personnalité engagée et sincère, Anne se refuse à utiliser le subterfuge de l’huile essentielle dans la mesure où, à sa connaissance, il n’existe pas de fabricant polynésien.
Repérer la perle des fa’a’apu
Pour révéler le goût du fruit, Tahi’Tea Time joue sur la variété. Parmi les mangues, la ’ōhure pi’o sort du lot. Si celle-ci est reconnaissable car, comme son nom l’indique, elle est bien en forme de fesses, d’autres fruits se confondent d’une variété à l’autre. N’avez-vous jamais grimacé en mordant une carambole acide alors que vous vous attendiez à un jus sucré ? « Gustativement, je n’arrivais à rien avec la carambole jusqu’au jour où j’ai rencontré la mini carambole de mes voisins. Et là, j’ai été ravie du résultat après séchage ! Je me suis alors mise à chercher cette variété précise chez les agriculteurs de Raiatea. Leur connaissance des espèces est incroyable et leur expertise une aide précieuse. »
... « Forcément, l’assemblage passion, gingembre, clitoria m’a inspiré un nom évocateur. Et cela me fait rire de servir du thé bleu ! ». La gamme se boit chaude, glacée, voire agrémente d’étonnants rhums arrangés. La majorité des ingrédients polynésiens sont certifiés Bio Pasifika, le plus important étant, pour la créatrice de TTT, la transparence.
Des plantations polynésiennes de thé ?
Dans son optique de s’approvisionner exclusivement en Polynésie, Anne Bozych imagine des champs de thé sur l’île sacrée. « À l’instar du cacao made in Fenua, ce serait magique d’avoir ici des plantatio ns de thé ! » Si des essais ont déjà vu le jour, aucun n’a abouti faute d’avoir compris les conditions optimales de cette plante sensible.
Tout en respectant les normes de bio sécurité afin de ne pas troubler l’écosystème, l’entrepreneuse a importé différentes graines qui ont été distribuées aux agriculteurs partenaires afin qu’ils procèdent à des essais en vue de retours d’expérimentation. Un projet à l’état de graine mais dont l’idée est bel et bien plantée.
Les sirops de Mama Coco
Transparence, bio et local, c’est exactement la philosophie de Fanny Vernay qui est aux commandes de Mama Coco. Opticienne de métier, elle s’est reconvertie dans l’artisanat du coco sous forme de savons ménagers et de porte-savons lors de son emménagement sur Raiatea. La crise Covid a stoppé l’élan de cette micro-entreprise mais pas celui de Fanny qui, passionnée de cuisine, a su rebondir. « Un jour que j’avais raté un essai de Ginger Bier, j’ai cuit le liquide pour le transformer en sirop, une boisson que ma mère et ma grand-mère avaient l’habitude de fabriquer elles-mêmes. » Encouragée par son cercle familial et amical, elle inaugure sa petite entreprise de sirops en 2021.
Eau, sucre et plantes : la composition est limpide. Et la transformation traditionnelle : macération et cuisson. « Toutes mes plantes viennent de Raiatea, à l’exception des baies roses qui sont marquisiennes », explique Fanny dont la main verte cultive citronnelle, menthe et basilic. Si l’aventure a commencé avec le gingembre et le curcuma, elle se poursuit gaiement avec le pamplemousse, le citron, l’ananas, l’estragon, le piment…, soit un éventail de 12 parfums. Certains sont franchement étonnants comme le duo concombre-menthe ou bien le sirop de basilic aussi rose qu’un verre de grenadine ! « La couleur provient de la variété que j’ai choisie et qui développe une feuille verte tâchée de rouge : j’ai été moi-même surprise de la teinte pourpre de ce basilic ». Rien à voir avec les colorants de synthèse hyper agressifs dont les effets sur la santé inquiètent la maman qu’est Fanny.
…ne pas jeter, ne pas gaspiller, ne pas produire de déchet, … »
Bio évidemment
En toute logique, Fanny adhère à l’association Bio Fetia et pénètre le réseau des agriculteurs certifiés Bio Pasifika, sa source privilégiée d’approvisionnement. Cependant, ses sirops ne sont pas certifiés bio faute de sucre labellisé. « J’utilise un sucre blanc provenant de Nouvelle Zélande car mon objectif est une fabrication la plus locale possible. À ce jour, les hectares polynésiens de canne à sucre sont dédiés à la distillation de rhum. Mais cela pourrait changer », se plaît à rêver l’artisane en contemplant les quelques tiges de canne de son jardin d’agrément. Soucieuse d’un circuit vertueux, Mama Coco consigne ses bouteilles en verre ; le message doit constamment passer auprès des acheteurs car seulement 15 % des contenants lui reviennent aujourd’hui. Sur les marchés, pour faire goûter ses sirops, elle dispose de petits shooters en verre, mettant en pratique le réusage ; ne pas jeter, ne pas gaspiller, ne pas produire de déchet, cela lui tient tellement à coeur ! Dans ce but, elle cogite à une cuisson moins gourmande en énergie. Inspirée par l’initiative de Fāora Lab, elle convoite l’installation d’une unité de méthanisation qui produirait du home biogaz. L’engin produirait du gaz à partir des déchets de plantes et de fruits macérés. Un cercle vertueux donc.
Pour l’heure, Fanny valorise les résidus de curcuma-gingembre auprès des roulotte Oikos et Poke Poke qui agrémentent leurs salades de ces racines délicieusement confites.
Des sirops saisonniers
Soucieuse de travailler avec des fruits gorgés de soleil, la fondatrice de Mama Coco ne se formalise pas d’une rupture momentanée de stock. « Je respecte non seulement les saisons mais aussi les conditions météo. Les fortes pluies précédant juin m’ont privé d’ananas bien sucrés. Tant pis, je patienterai jusqu’à la récolte de novembre. »
Je respecte non seulement les saisons mais aussi les conditions météo.
Privilégiant la qualité et ses convictions écologiques, Fanny Vernay ne se lasse pas d’expliquer ses choix sur les marchés événementiels de l’île sacrée au auprès des magasins de Uturoa qu’elle livre en vélo-cariole. Outre le Raiatea Lodge, qui a mis à la carte de son restaurant un cocktail à base de son sirop de piment, deux boutiques lui font confiance, L’Atelier Saveurs, à Uturoa, et Teavanui Shop, à Vaitape, sur Bora-Bora. Pour satisfaire d’autres enseignes et développer sa petite entreprise, Mama Coco est à la recherche d’un local professionnel. À l’heure de la promotion de l’autonomie alimentaire, encourageons les artisans de l’agro-alimentaire à relever ce défi.
Une tisane de cacao
L’infusion Coco Coa de Tahi’Tea Time contient une partie méconnue de la graine de cacao qui n’est pas utilisée en chocolaterie parce qu’il s’agit d’une enveloppe non comestible. En revanche, « l’odeur de chocolat chaud qui s’en dégage est complètement dingue ! », atteste Anne Bozych qui s’est amusée à torréfier cette micro cosse aux arômes intenses.
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