© Texte et interviews : Virginie Gillet
Même les pāpio n’auront pas été épargnés cette année ! Si le phénomène est loin d’être spécifique à la Polynésie, les prix y ont amorcé une envolée spectaculaire depuis quelques mois, affectant globalement, malgré d’importantes disparités, tous les secteurs* et plombant déjà lourdement le moral comme le budget des ménages polynésiens. Surcoûts liés au fret, difficultés d’approvisionnement, chaînes de production et de transports perturbées par la crise sanitaire, recours à la planche à billets, tensions géopolitiques, conflit en Ukraine et ses conséquences mais aussi mesures politiques prises localement, tout a été évoqué pour justifier, expliquer et tenter d’anticiper les perspectives en matière d’inflation et d’augmentation du coût de la vie. Qu’en est-il aujourd’hui près de 9 mois après l’amorce de ce mouvement ? Voici notre éclairage sur la question.
*La téléphonie faisant partie des rares qui contribuent à contenir l’indice général des prix.
Le phénomène de l’inflation, et celui de l’augmentation du coût de la vie qui ne lui est pas forcément similaire, font toujours l’objet de nombreuses controverses. Les économistes notamment identifient des causes différentes. Ils ne s’accordent pas sur l’impact (parfois considéré comme positif) des conséquences de l’inflation ou de l’augmentation des prix. Peu s’entendent sur les mesures à prendre pour les contrer. Il en est de même du degré d’interventionnisme des gouvernements pour œuvrer à en diminuer les effets à défaut d’en maîtriser l’origine. Tous s’accordent en revanche à considérer la stabilité des prix comme un gage d’équilibre d’une économie. Un gage d’autant plus important que ces phénomènes ont une incidence concrète sur la vie quotidienne des populations. En effet, les problématiques qui peuvent en découler en termes de pouvoir d’achat et par répercussion de paix sociale ne sont pas anodines. La stabilité des prix, émanation d’une économie où la hausse des prix est durablement très faible ou nulle, contribue en effet à maintenir par ricochet à un niveau faible l'incertitude des agents économiques vis-à-vis de l’avenir à moyen et long terme. Elle permet une forme de « lisibilité de l’avenir », contribue à installer une confiance propice aux investissements et affermit « les anticipations positives des divers agents économiques ». À titre d’illustration, il est ainsi intéressant de noter qu’à ce jour la BCE, la Banque centrale européenne, considère que son objectif majeur (énoncé d’ailleurs explicitement comme la « défense de la stabilité des prix ») est atteint lorsque le taux moyen d'inflation sur le moyen terme n'excède pas 2 %. Or, si la terminologie établit un distinguo entre inflation et augmentation du coût de la vie, force est de constater que nous sommes aujourd'hui entrés dans un phénomène inflationniste de grande ampleur. Ce phénomène, à l’international comme au Fenua, induit une forte hausse des prix à la consommation des biens et services, dont les répercussions risquent tout à la fois d’être durables et très conséquentes.
Un phénomène mondial (et des spécificités locales)
La presse anglo-saxonne, plus réaliste pour les uns, fortement alarmiste pour les autres, n’hésite pas à pronostiquer une inflation de l’ordre de 20 % sur une année d’ici à janvier 2023
On l’a dit, le phénomène est loin d’être spécifique à la Polynésie. Il est même mondial et c’est peut-être ce qui le rend d’autant plus inquiétant à ce stade. Si la presse anglo-saxonne, plus réaliste pour les uns, fortement alarmiste pour les autres, n’hésite pas à pronostiquer une inflation de l’ordre de 20 % sur une année d’ici à janvier 2023, les chiffres de l’inflation en Europe à fin juin, publiés par le quotidien belge La Libre dans sa rubrique économie, ont déjà de quoi affoler quelque peu :
en Espagne, l’inflation sur un an a ainsi atteint 10,2 % en juin, une première depuis 1985 ;
l’inflation poursuit également son explosion en Belgique où elle a atteint les 9,65 % en juin, son plus haut niveau depuis 1982 ;
en Allemagne, le taux d’inflation était fin juin 2022 à 7,6 %. Pour trouver un chiffre d’inflation aussi élevé, il faut remonter à janvier 1952 ;
en Italie, ce chiffre a atteint 9,6 % et 8 % au Portugal ;
en France, l’inflation devait continuer d’accélérer d’après les économistes consultés par l’organe de presse précité pour atteindre 6,8 % sur un an en décembre. Ce, même si la porte-parole « éclair » du gouvernement français, Olivia Grégoire, a déclaré le 29 juin dernier que le gouvernement « estimait qu’actuellement, nous sommes au pic de l’inflation et que cela devrait descendre en fin d’année, début d’année suivante ». Rien de plus incertain.
Si la Polynésie se situe encore en retrait par rapport à ces indices, le phénomène y est toutefois bel et bien installé : 6,2 % sur un an.
D’après les chiffres publiés le 23 juin dernier par l’ISPF, l’Institut de la statistique de la Polynésie française, l’indice des prix à la consommation a encore augmenté de 0,3 % au mois de mai et si l’augmentation de ce même indice était certes plus conséquente en avril (1,1 %), cette hausse aboutit à une progression globale de ce marqueur de 6,2 % sur un an ; l’essentiel de cette augmentation ayant en outre été constatée sur les six derniers mois (autrement dit les cinq premiers mois de 2022 plus décembre 2021).
Un panier alimentaire mis à mal
Dans le détail, on retiendra de ces chiffres arrêtés deux mois après la mise en vigueur de la Contribution pour la solidarité (autrement appelée TVA sociale) que cette évolution à la hausse a été principalement constatée dans les produits alimentaires (+ 1,5 %) ainsi que les boissons alcoolisées et le tabac (+ 1,7 %). La progression enregistrée au niveau des produits alimentaires s’adossant essentiellement à l’augmentation des prix des viandes (+ 1,8 %), des produits de la mer (3,2 %), des pains et céréales (+ 1,6 %) ainsi que des bières (+ 2 %), pour les boissons alcoolisées, et des cigarettes (2,3 %).
La progression la plus importante affecte donc le secteur crucial pour les populations de l’alimentation. Un secteur pour lequel il a été donné d’autres marqueurs inquiétants, le média Tahiti Infos ayant, par exemple, fait état dans un article en date du 8 juin dernier (« PPN, la flambée continue »), relayant des chiffres fournis par la DGAE, du fait qu’une hausse de 14,3 % avait encore été constatée, pour les six derniers mois également, au niveau d’un panier de référence de 25 PPN (produits de première nécessité) alimentaires établi par ses soins. Et ce alors que ce même panier avait déjà connu précédemment une augmentation de plus de 14 % en un an. Concernant les autres secteurs, et pour revenir au dernier indice publié par l’ISPF (celui de mai 2022), on notera également une augmentation de l’ordre de 0,4 % pour la division « logement, eau, électricité, gaz et autres combustibles » avec, plus spécifiquement, une hausse des loyers de + 0,8 % et une autre concernant les prix des produits destinés à l’entretien et la réparation des logements de l’ordre de 0,5 %. Seules baisses notables enregistrées : - 2 % au niveau de la division « transports » et une autre, plus mesurée, atteignant - 0,6 % pour le secteur habillement/chaussures.
À l’heure où nous finalisions ce dossier, un tour d’horizon de quelques grandes surfaces de la place n’augurait rien de forcément très bon quant au sens pris par les choses alors qu’une conséquente augmentation des prix du carburant au 1ᵉʳ juillet était actée ; une décision qualifiée de « difficile et courageuse » par le gouvernement qui l’avait annoncée à l’issue du conseil des ministres du 15 juin 2022, évoquant les tendances mondiales du cours des hydrocarbures et leurs conséquences sur le prix des carburants en Polynésie française, jusque-là fortement « amorties » par le Fonds de régulation des prix des hydrocarbures. Ce fonds devait d’ailleurs bénéficier encore d’une injection de 4 milliards supplémentaires après avoir consacré déjà plus de 3 milliards de réserves à la stabilisation des prix, depuis le début de l’année, dans le cadre du plan de lutte contre la vie chère mis en place par le gouvernement au début du mois d’avril 2022.
Tahiti Infos a fait état, dans un article en date du 8 juin dernier (« PPN, la flambée continue »), relayant des chiffres fournis par la DGAE, du fait qu’une hausse de 14,3 % avait encore été constatée, sur un panier de référence de 25 PPN (produits de première nécessité) alimentaires établi par ses soins. Ce alors que ce même panier avait déjà connu précédemment une augmentation de plus de 14 % en un an.
Un impact majoré pour la population locale
Autre paramètre préoccupant : si le support Points forts de la Polynésie française n° 01, édité en juin 2016, soulignait que « depuis mars 2010, l’inflation est relativement voisine dans l’ensemble des territoires (d’Outre-mer, NDLR), même si en Polynésie française elle diminue plus fortement ces dernières années », la donne s’est totalement inversée ces derniers mois pour l’ensemble du territoire français. Avec des répercussions d’autant plus graves pour la Polynésie, que ce même support précisait également, en matière de comparaison du coût de la vie entre la France métropolitaine et la Polynésie française, qu’en mars 2016 « le niveau général des prix à la consommation est supérieur de 39 % - au Fenua - à celui de la Métropole ». Précisant encore, parmi les éléments les plus saillants, que « si les modes de vie restaient identiques, les ménages métropolitains qui consommeraient en Polynésie française en conservant leurs habitudes de consommation seraient confrontés à un niveau des prix plus élevé de 55 % » tandis qu’à l’inverse, « pour les ménages polynésiens s’installant en France métropolitaine et conservant leur mode de vie, le niveau des prix serait inférieur de 19 % ».
Des chiffres qui plaçaient déjà la Polynésie largement en tête des territoires ultra-marins, sous l’angle du coût de la vie après comparaison avec la Métropole. Mais un autre chiffre interpellait encore vivement : « quel que soit le territoire d’outre-mer, précisait toujours le même support*, l’alimentaire présente le plus fort écart de prix. Cet écart est de 81 % en Polynésie française, alors qu’il est de 48 % en Martinique, 42 % en Guadeloupe, 45 % en Guyane et 37 % à la Réunion ». Dans un contexte où les minima sociaux et salaires minimums, malgré une revalorisation récente (SMIG), restent globalement en-deçà de la Métropole, l’inflation constatée aujourd’hui en Polynésie vient donc renforcer une cherté des prix touchant aux besoins fondamentaux, en premier lieu desquels l’alimentation. Si le phénomène continuait à s’amplifier, les conséquences potentielles pourraient être lourdes, notamment en termes de santé mais aussi de tensions sociales, malgré les garde-fous déployés et les effets atténuateurs. Et ce, dans un contexte international où les indicateurs positifs ne sont pas légion.
Après comparaison entre la Métropole et les territoires ultra-marins, l’alimentaire présente le plus fort écart de prix : il 81 % en Polynésie française.
* L’enquête de comparaison spatiale des prix 2022 a été réalisée simultanément sur l'Hexagone et tous ses territoires ultramarins en mars et avril dernier. Les données collectées sont en cours d'analyses et les premiers résultats seront diffusables à la fin du premier semestre 2023.
A retrouver la semaine prochaine :
Interview : Nicole Levesques, directrice de cabinet d’Yvonnick Raffin, ministre de l’Économie et des Finances
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