Le Pu fenua et l'avenir de nos enfants
© Photos et texte : Lorelei Quirin
Jonathan Mc Kittrick est originaire des Marquises, de Nuku Hiva. La nature qui l'a entouré durant ses premières années l'a marqué, accompagné dans sa culture, la perception des autres, la volonté de préserver le fenua tout en pensant à demain. C'est finalement sur Tahiti, avec un groupe solide tourné vers la défense de l'environnement, qu'est née l'idée de “Un Enfant, un Arbre, un Corail”.
« Quelle vie demain, dans quel monde ? » Alors que nous subissons aujourd’hui encore la crise sanitaire liée à la Covid-19 de plein fouet, de nombreux idéalistes cherchent à dé- fendre l’idée d’un monde plus serein, reconnecté comme par le passé avec la nature, un monde auto-suffisant qui procure ce qu’il faut pour vivre. Soit. Sauf que les belles idées restent lettre morte, si on ne passe pas à l’action. Jonathan, après avoir quitté la baie de Taiohae à Nuku Hiva a appris pour rassembler tous les atouts nécessaires à ses rêves. Il passa d’abord par la Nouvelle-Zélande, où il a appris les métiers de la terre, notamment une formation horticole qui le lie aux arbres, à ce qu’ils peuvent donner, transmettre. Bientôt naît ce concept de la pérennité du monde par ce que la nature donne. En arrivant à Tahiti, c’est assez naturellement qu’il fait la connaissance d’un groupe tourné vers la protection de l’environnement.
Défendre l’avenir
Il prend part aux engagements du groupe, aux combats qu’il mène, aux défis à relever.
Parmi tous ces nouveaux amis, un en particulier, Heiva, le touche. Ils passent du temps ensemble, cherchent à inventer un système qui pourrait fédérer, être utile, culturel et pérenne.
Comment pérenniser la nature tout en pérennisant le monde ? Assurer l’auto-subsistance pour aller, peu à peu, vers l’autonomie alimentaire en prenant soin de la nature ?
Les idées fusent.
1 + 1 = 3, dans le monde de la connaissance, c’est bien connu. Ce sera donc trois thèmes associés, un enfant, un arbre, un corail. Une trilogie qui repose sur une tradition polynésienne, connue dans tout le triangle océanique : le Pu Fenua. L’objectif est au bout : mêler la préservation des traditions polynésiennes, en les respectant et en les réinventant, en préservant la nature et en améliorant le quotidien des familles polynésiennes.
Pour Heiva, « d’ici 10-20 ans, les arbres plantés aujourd’hui donneront de quoi nourrir de nombreuses familles, qui à leur tour, n’auront plus besoin d’aller au supermarché pour se procurer des denrées alimentaires. »
Un lien indéfectible
L’association se met ainsi à valoriser la vie en renouant avec le Pu Fenua. Dans les traditions ancestrales, il était coutume de planter un arbre nourricier à chaque nouvelle naissance, le Pu Fenua, « noyau de la terre », lien indéfectible entre l’enfant et sa terre, le monde de la vie et de la lumière (ao) avec celui des ancêtres et des dieux (po), par les arbres. Ces arbres qui en grandissant subviennent aux besoins des familles, de générations en génération. Un cercle infini puisque chaque nouvelle naissance apporte sa nouvelle graine, sa nouvelle pousse. Le placenta lié avec un arbre choisi par un membre de la famille qui a déjà donné la vie. Une pousse humaine pour une pousse végétale. Une idée belle, forte, pleine d’énergie. Restait à la réaliser. Or, planter un arbre n’est plus aisé de nos jours. Nombre de familles polynésiennes n’ont plus un accès à la terre de leurs ancêtres ou à leur île de naissance : déménagement, accouchements à Tahiti, tout cela joue. Or, un arbre prend de la place et, rien qu’en 2017, il y a eu pas moins de 1000 naissances au fenua.
Mais quand une idée est belle, elle séduit les belles âmes et réveille les solidarités. Un terrain familial de Paea, appartenant à Lucien Kimitete, ancien maire de Nuku Hiva, est mis à la disposition de l’association. Les noyaux de vi tahiti, vi papa’a, ‘uru sont plantés, arrosés, replantés dans des pots de croissance. Tous ces végétaux doivent pouvoir s’épanouir sur le long terme. Les arbres destinés à la cérémonie du Pu Fenua sont des arbres fruitiers, comme le prévoyait l’ancienne tradition.
L’association va plus loin, en mettant en avant le lien entre l’exploitation de l’arbre fruitier et la valorisation des produits locaux. Dans la pépinière Papehue, sur le site de l’association, on y retrouve de nombreuses espèces, la plu- part issues de dons. Jonathan a commencé sa collecte de plants en faisant du porte-à-porte. Le don est une action précieuse, un échange un appel à l’engagement participatif.
Premières pousses
Le centre hospitalier du Taaone a trouvé l’initiative séduisante. Les petites pousses peuvent être offertes aux mamans pour leurs bébés. L’association espère, rapidement, pouvoir proposer une cinquantaine d’essences différentes, de façon à laisser le choix de l’arbre aux familles.
Que faire pour les 30% de Polynésiens qui n’ont pas accès à la terre ? Jonathan et Heiva ont une judicieuse idée : avec le soutien bienvenu du Pays, mais aussi de privés et d’associations, ils cherchent des terres, au statut juridique encadré, des terres protégées où faire pousser ces arbres, futurs vergers des familles polynésiennes, qui auront vu grandir leurs enfants en même temps que ces arbres de famille. Toutes les bonnes volontés sont d’ailleurs les bienvenues : un jardin partagé, c’est un ensemble de soins à apporter aux arbres pour veiller à leur bonne santé, sur- tout durant leurs premières années.
“C’est un projet commun où tout le monde est bienvenu et peut apporter sa contribution.
Peu importe le moyen à partir du moment où la personne s’engage à donner son temps.
Nous voyons sur le long terme. »
Jonathan ajoute : « Le projet a aussi vocation touristique : le fait de développer Tahiti avec la nature l’embellit. » Et puis, au niveau de la santé, ces arbres apporteront des produits plus sains, permettront de nourrir les plus nécessiteux. Heiva conclut : « On ne peut pas laisser du plastique aux futures générations. Nos ancêtres voyaient plus loin que nous, ils voyaient l’avenir. » Les arbres du Pu fenua sont une partie de la solution. Une solution qui pourrait traverser les océans, les frontières, et aider à dessiner un avenir meilleur.
Mieux comprendre le Pu fenua, avec le professeur Bruno Saura « Enterrer le placenta ; l’évolution d’un rite de naissance en Polynésie française » est une version modifiée d’un article publié dans la revue Sciences sociales et santé (Paris) 18.3 (septembre 2000) : 5-27 sous le titre
« Le placenta en Polynésie française : un choix de santé publique confronté à des questions identitaires ».
Un texte à lire ici :
http://ile-en-ile.org/bruno-saura-enterrer-le-placenta-levolution-dun-rite-de-naissance-en-polynesie-francaise/
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Dossier à retrouver dans votre magazine Investir à Tahiti #6 - octobre 2020