Texte : Patrick Seurot - Magazine Tama'a #12
Problème de classe de CM2, énoncé d’une voix monocorde par la [ou le] professeure des écoles : “Un Polynésien mange en moyenne 30 kilos de poulets par an*. Or, il n’y a plus d’élevages de poulet de chair en Polynésie française.
Question : d’où viennent les poulets mangés toute la semaine par les foyers polynésiens ?”
100% des poulets mangés lors du ma’a (achetés fumés, rôtis, congelés, désossés, en wings (ailes), cuisses, suprêmes, nuggets… et j’en oublie) sont importés (sauf poulets sauvages locaux rarement capturés).
Or, 40% du marché mondial du poulet est fabriqué au Brésil. Je choisis sciemment le terme « fabriqué ». On élève un poulet de Bresse, mais on fabrique un poulet du Brésil : 17 volatiles par m2 (fermez les yeux et imaginez), enfermés dans des usines géantes sans lumière. Pourquoi diable permettre à ces poulets de voir le jour, ils n’en passeront que 41 sur terre , pas un de plus, en tout cas pour ceux qui arriveront au terme de leur saison. Enfin, quand je dis “sur terre” : nourris au soja transgénique ou bourré de pesticides, chargés en antibiotiques (dans ces conditions, tous mourraient sinon) sur du sable traités ou des grillages.
En Europe, on autorise ces élevages en batterie du moment que le poulet possède son propre espace de vie : l’équivalent d’une feuille A4. C’est peu. C’est trois fois plus que le poulet brésilien. Quand vient la récolte, on ouvre les portes. La lumière aveugle ceux qui ont encore des yeux ou qui savent les ouvrir. On les ramasse alors. A la main ? A la pelle.
Le Brésil autorise le dumping à ses industriels éleveurs de poulets, ce qui explique qu’ils ont pénétré tous les marchés du monde, en arrivant à s’aligner ou à être meilleur marché que le poulet chinois. A Tahiti, on peut manger du poulet élevé au grain et en plein air (il est congelé, à environ 1800 F la pièce). Il s’en vend peu. C’est la caisse de poulets, des kilos désossés à bas prix, qui est choisie. Pour nombre de familles, c’est une question de prix et de quantité .
Sauf que ce calcul est faux : « la viande de poulet est celle qui porte le plus de bactéries (dont 61% résistantes aux antibiotiques dont les poulets sont pourtant gavés) et de virus, dont l’un est incriminé dans l’épidémie de surpoids », écrivent Véronique Magnin et Jean-Paul Curtay (Moins de viande, Solar Editions, 2018).
Encore une petite louche pour finir ce gai panorama ?
85% de la déforestation au Brésil, en Asie et en Afrique, a pour cause la mise à disposition de terres pour l’élevage et la production de protéines (soja) pour lesdits poulets, les porcs et les vaches. Je respecte les gens qui refusent de manger du foie gras pour des questions éthiques, même si, ayant longuement étudié le système digestif du canard et de l’oie, je ne partage pas leur approche. Mais je les invite à rejeter avec la même conviction la consommation de ces poulets dont on gave nos enfants et dont nous ne savons pas vraiment, aujourd’hui, ce qu’ils provoqueront demain.
Evitons ces poulets industriels sources de problèmes, préférons un poulet de ferme, même si ce n’est que de temps en temps…en attendant d’avoir, peut-être, un élevage de qualité de poulets gambadant sur les vastes prés de Mataiea ou de Papeari, dînant de mangues, de papaye et de mape…
* selon les chiffres des importations rapportées au nombre d’habitants, en 2017