L’agriculture des Australes, familiale, est tournée vers le maraîchage. Une partie de la production est destinée à l’autoconsommation mais l’archipel alimente également le reste du territoire en légumes et autres productions tempérées, via les circuits de commercialisation classiques ou de manière informelle, avec les envois aux membres de la famille résidant à Tahiti.
Les Australes possèdent une surface agricole d’un peu plus de 2 100 hectares (dont un quart de cocoteraies), soit 5 % de la surface polynésienne. Comme partout ailleurs en Polynésie, les exploitations agricoles sont en diminution, mais l’agriculture reste le secteur emblématique de ces îles qui, depuis les années 1960, sont un formidable grenier à productions du fenua.
© Texte : Doris Ramseyer & Delphine Barrais - Photo : © Philippe Bacchet sauf mention
À à 640 kilomètres au sud de Tahiti, Tubuai se démarque des autres îles des australes par ses nombreux plateaux à la terre fertile. La culture maraîchère est la principale activité économique de l’île, faisant de Tubuai le véritable grenier de la Polynésie.
Quels légumes y sont cultivés, comment sont-ils acheminés vers Tahiti, et quels défis les agriculteurs d’aujourd’hui doivent-ils relever ?
Production de carottes : un secteur vivement encouragé
À Tubuai, on produit toutes sortes de légumes, mais surtout de la carotte, légume-racine qui se mange autant cru que cuit. Une culture soutenue et encouragée par le ministère de l’Agriculture depuis 10 ans, et renforcée lors d’une campagne en 2022. Des engins agricoles ont été mis à la disposition de la commune de Tubuai pour les agriculteurs professionnels.
Ces derniers ont aussi reçu de l’aide dans la facturation, la distribution, la livraison et le stockage, et dans des actions sur la valorisation du légume (pour réduire les pertes et apporter une plus-value sur les écarts de tri). En 2023, plus de 560 tonnes de carottes ont été produites sur l’île. Grâce au Pays notamment, le nombre de producteurs de carottes réguliers a ainsi presque doublé en un an : ils sont 36 à présent. Les surfaces d’exploitation ont nettement augmenté, elles aussi, et couvrent désormais 36,2 hectares. Le prix de vente du producteur de carottes est passé de 230 à 250 Fcfp le kilo – un moyen de pallier l’inflation du prix des intrants agricoles. Le fret sur le Tuhaa Pae IV est pris en charge par le Pays, qui fixe les marges de commercialisation et bloque les importations de carottes de Nouvelle-Zélande lors de la saison de récolte à Tubuai (de juillet à novembre).
Les productions restent variables d’une année à l’autre, car le métier n’est pas forcément professionnalisé.
Si Tubuai produit annuellement plusieurs centaines de tonnes de carottes (2 variétés principalement : Royal Cross, variété hybride développée pour offrir des rendements élevés et New Kuroda, dérivée de la Chantenay), les légumes ne sont pas tous commercialisables à Tahiti. Les invendus sont destinés à la consommation des animaux, ce que la DAG de Tubuai souhaite voir changer. L’île a connu récemment des problèmes de surproduction et de stockage de carottes ; près de 35 tonnes d’ombellifères entreposées en chambre froide ont été retrouvées avariées fin 2023 ; un problème qui proviendrait du surstockage, des variations de température, du dysfonctionnement du rideau d’air chaud à l’entrée des chambres froides et de l’absence d’hydrocooling. Il est prévu de créer un atelier d’agrotransformation courant 2024, ainsi qu’un travail sur la fertilisation biologique des sols et l’achat groupé de semences. L’arrivée dans le ciel polynésien d’une compagnie aérienne locale dédiée au fret (près de 9 tonnes par vol) apporterait aussi un complément de solution.
Du bœuf aux carottes
Il y a de nombreuses années, un abattoir fonctionnait à Tubuai. Charles Viriamu se rappelle que son grand-père élevait veaux et vaches. Sur l’île, il existait des élevages de bovins mais également de cochons et chèvres.
À la fin des années 1990, le maraîchage a pris de l’ampleur, la Direction de l’agriculture a notamment encouragé la culture de carottes et pommes de terre qui ont fini par remplacer les bêtes. « Tu ne peux pas faire les deux, ou difficilement, car si les animaux s’échappent par exemple ils piétinent et mangent les légumes voisins », explique Charles Viriamu. Le maraîchage était par ailleurs plus intéressant économiquement. L’abattoir a fermé.
Aujourd’hui, un élevage d’une centaine de bovins permet de fournir de la viande en cas d’événements d’ampleur sur l’île. Certaines familles possèdent veaux et vaches pour leur propre consommation.
Un climat favorable aux pastèques
Deuxième production après la carotte, la culture de la pastèque s’est nettement accrue depuis 2021 – près de 80 tonnes sont produites en 2020, contre plus de 500 tonnes en 2022. En 2023, l’île récolte près de 235 tonnes de cucurbitacées. La plupart des cultivateurs de Tubuai produisent aujourd’hui de la pastèque, privilégiant 5 variétés (énumérées par ordre d’importance) : Sugar Belle, Dark Belle, Aroune, Tarzan, Kahn. Une culture qui demande passablement d’eau, surtout en période de fructification. Le travail se fait manuellement, en arrosant une plante après l’autre. Soit avec un arrosoir – c’est ainsi que procèdent la majorité des cultivateurs, ce qui demande de la main-d’œuvre –, soit grâce à une petite citerne d’eau placée dans la benne du pick-up, reliée à un tuyau d’arrosage, et qui leur permet de se déplacer dans le fa’a’apu.
Litchi : une production irrégulière, étroitement liée au climat
Le litchi ne doit pas subir de différence de température entre le jour et la nuit de plus de 5 °C, écart indispensable à la floraison. Le climat de l’île de Tubuai apparaît comme idéal : 20-21 °C en journée durant la saison fraîche, 16-17 °C la nuit. Il faut au minimum une semaine de froid d’affilée pour que se produise la nouaison, le passage de la fleur au fruit (repos végétatif). Mais avec le changement climatique, plus marqué en 2023, cet enchaînement ne s’est pas produit, note Charly Audouin, chef de la subdivision de la DAG aux îles Australes. Sur le terrain de litchis, géré par la DAG, les arbres ont donné seulement quelques fruits fin 2023 et, début 2024, on constate plusieurs floraisons, plus réduites et inhabituelles. C’est inédit, selon Charly.
Letchis
En 2023, mauvaise année pour les letchis. Les conditions météorologiques défavorables, ainsi que l’attaque de ravageurs et de maladies a engendré une maigre production, composée de fruits chétifs. Les années ne se ressemblent pas. Chaque famille possède ses propres pieds de letchis. Elles consomment leur production, donnent ou vendent l’excédent. Tubuai compte 4 000 pieds de litchis, répartis sur 40 hectares, gérés par 52 producteurs (recensés en 2023 par la DAG de Tubuai). Le letchi kwai-mi, introduit à la fin du XIXe siècle, est la variété la plus répandue en Polynésie française.
Les autres cultures
Les choux représentent la troisième production de l’île derrière les carottes et les pastèques. Tubuai produit aussi : citrons, concombres, courgettes, maïs, manioc, melons, navets, pamplemousses, patates douces, poivrons, poireaux, potirons, radis, taro et tomates. Et, dans une moindre mesure : avocats, bananes, brocolis, céleris, choux-fleurs, cocos, bananes et bananes fē’ī, gingembre, haricots, pota, salades, radis, taruā, ufi (igname), potirons et papayes. La pomme de terre a été intensément cultivée jusqu’en 2021 ; 2016 a été une année exceptionnelle avec 214,2 tonnes enregistrées et, en 2013 encore, il s’agissait du produit agricole le plus exporté (550 tonnes). Mais attaquée par la bactériose, et mise à mal par l’usure des sols et les intempéries, elle n’a plus été commercialisée depuis 2022, par manque de rentabilité.
La DAG lance actuellement un programme de culture du taro.
Outre les maraîchers, à Tubuai, il y a aussi quelques cultivateurs de vanille (8 porteurs de projet recensés en 2023), des arboriculteurs, plusieurs apiculteurs, un producteur de café (Taofe Manumeri No Tubuai), un seul domaine bio (SCA Manu Meri no Tubuai), et certains cultivateurs sont également pêcheurs. Un dispositif d’aide à la filière agricole est mis en place par le Pays, pour financer en partie les investissements lourds (tracteurs et accessoires) des agriculteurs professionnels. C’est une aide qui dépend du dossier et qui peut donc être accordée ou pas, par la commission CADA.
« Les agriculteurs défendent à la fois notre mémoire et notre avenir, notre culture et nos savoir-faire. Ils sont plus que toute autre profession les gardiens de notre identité et les garants de notre développement futur. » Extrait du document adopté par l’Assemblée de Polynésie française sur le schéma directeur « Agriculture » en Polynésie française, 2021-2030.
Les bananes fē’ī sont l’une des nombreuses cultures de Tubuai, véritable grenier de la Polynésie.
La filière du bois à Tubuai
L’île de Tubuai possède des forêts de pins des Caraïbes, plantés il y a 30-35 ans, qui aujourd’hui arrivent à maturité. Tubuai Bois, l’unique scierie de l’île, est actuellement à l’arrêt, mais en voie de reprise par VDM Charpente qui devrait redynamiser le secteur du bois. Le Pays pourrait prêter main-forte à la filière en facilitant l’exploitation du bois de Pinus (travaux de pistes pour améliorer son accessibilité, puis aménagement de ces fonciers privés pour le développement de l’agroforesterie).
Des ateliers de transformation de la Dag
En conformité avec l’objectif stratégique d’amélioration de notre sécurité alimentaire, inscrit dans le schéma directeur de l’agriculture 2021-2030 validé par l’APF en février 2021, la Direction de l’agriculture (DAG) a lancé un programme d’installation d’ateliers d’agrotransformation dans les communes agricoles de Polynésie française afin de faciliter le développement des filières de transformation des produits locaux du secteur primaire et l’augmentation de la consommation.
En février 2023, le ministre de l’Agriculture, Tearii Te Moana Alpha, se déplaçait sur les îles de Huahine et de Raiatea afin de constater la réalisation des nouvelles infrastructures dédiées au soutien du monde agricole et de l’élevage.
Le ministre a pu constater le quasi-achèvement du premier atelier d’agro-transformation de l’île de Huahine, et le chantier de gros-œuvre en cours de trois autres ateliers d’agro-transformation dans la commune de Taputapuatea, à Raiatea, livrés eux en janvier 2024. D’un coût unitaire d’environ 70 millions Fcfp (co-financé à 50% par le Pays et l’État), ces infrastructures publiques accueillent des porteurs de projet en agro-transformation (moins de 500 kg par jour).
Le programme d’investissement porté par le ministère de l’Agriculture concerne ainsi la construction d’une série des neuf ateliers d’agro-transformation aux Iles du Vent et aux Iles Sous-le-Vent. Une deuxième série d’infrastructures est également en phase d’étude dans les îles de Rurutu, Rimatara et Tubuai.